Al-Baghdadi, la mort du calife de Daech
Donald Trump accroche désormais un trophée à son bilan politique contesté: la mort du chef de l’Etat islamique, Abou Bakr al-Baghdadi, traqué depuis des années. L’organisation terroriste n’est pas pour autant terrassée
SYRIE L’annonce, ce dimanche, de la liquidation du chef de l’Etat islamique représente une grande victoire pour le président Trump après le retrait des troupes américaines
■ La guerre contre le califat autoproclamé n’est toutefois pas terminée, mais le coup d’éclat arrive au meilleur moment pour le locataire de la Maison-Blanche, lui qui est menacé d’impeachment
■ Mais la disparition du leader de l’EI ne va pas forcément de pair avec celle d’une organisation qui a encore le vent en poupe
■ Selon un expert, Al-Baghdadi représentait une figure symbolique trop importante pour ne pas déjà avoir un successeur
«Il est mort comme un chien.» En annonçant dimanche l'élimination d'Abou Bakr al-Baghdadi, Donald Trump a insisté sur le fait qu'il était «mort comme un lâche», «poursuivi dans un tunnel par nos chiens», en actionnant son gilet d'explosifs, emportant trois de ses enfants avec lui dans un acte ultime de désespoir. Donald Trump n'a pas lésiné sur les qualificatifs pour humilier le chef de l'Etat islamique (EI). Dans son récit de l'opération commando américaine, livré lors d'une rare allocution télévisée, il le décrit comme «gémissant, pleurant et criant». Il veut en donner l'image d'un geignard, fuyant et terrifié.
«Ses actes maléfiques de décapitation, d’asservissement des femmes, de viols, de torture et de pure brutalité le suivent jusqu’à sa tombe» MIKE POMPEO, SECRÉTAIRE D'ÉTAT
Pour le président américain, cette mort représente une grande victoire. Dès ses premiers jours au pouvoir, il s'était donné pour objectif de «terrasser l'EI», annonçant même plusieurs fois prématurément la mort de l'organisation. Abou Bakr al-Baghdadi avait aussi déjà été donné pour mort. Mais cette fois, les restes de l'homme qui s'est explosé dans un tunnel sans issue auraient parlé. Donald Trump s'est basé sur de premiers tests ADN, sans attendre les résultats définitifs, trop pressé d'annoncer la nouvelle. C'est notamment l'arrestation d'une femme du chef terroriste qui a permis à la CIA de le localiser dans une région pourtant hostile à l'EI, précise le New York Times.
Une victoire à point nommé
Cyniquement dit, la mort du terroriste intervient au meilleur moment pour Donald Trump. Le président est menacé par une procédure d'impeachment pour avoir fait pression sur son homologue ukrainien à propos de son rival démocrate Joe Biden, et le climat politique à Washington est devenu pesant. L'annonce du retrait des troupes américaines de Syrie a par ailleurs été très critiquée, y compris dans les rangs républicains. Cette opération américaine dans la région d'Idlid, dans le nord-ouest de la Syrie, après des années de traque, arrive donc à point nommé. Donald Trump est désormais en mesure de brandir un trophée, celui d'avoir réussi à éliminer l'ennemi public numéro 1, responsable de nombreux attentats sanglants.
«La nuit dernière, les Etats-Unis ont fait payer le prix de la justice au principal leader terroriste du monde. Bakr al-Baghdadi est mort.» C'est en articulant très distinctement ces mots que Donald Trump a entamé son allocution, avant de donner le récit détaillé du raid. Le dirigeant de l'EI, autoproclamé chef du califat en 2014, s'était réfugié dans un tunnel alors que la maison du village de Baricha dans laquelle il se terrait était assiégée, d'abord par des tirs provenant de huit hélicoptères puis par les hommes déployés au sol. Aucun Américain n'est mort dans l'opération. «C'était comme regarder un film.» Donald Trump a visionné l'opération en direct, depuis la Situation Room, cette même salle depuis laquelle Barack Obama et sa secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, avaient assisté à l'élimination d'Oussama ben Laden.
«Il reste encore du travail à faire»
L'opération s'est déroulée alors même que Donald Trump avait annoncé, au début d'octobre, le retrait des troupes américaines du nord de la Syrie, permettant aux forces turques de lancer une vaste offensive contre les Kurdes, alliés des Occidentaux dans la lutte contre l'EI. Dimanche, le président américain a remercié «la Russie, la Turquie, la Syrie, l'Irak et les Kurdes de Syrie». La guerre contre l'EI n'est toutefois pas terminée. La mort d'Oussama ben Laden n'a pas signifié pour autant la fin d'Al-Qaida.
Donald Trump va exploiter au maximum sa victoire, mais le chef de la diplomatie, Mike Pompeo, est bien conscient qu'il «reste encore du travail à faire pour assurer la défaite durable de l'EI». «La mort de d'Al-Baghdadi suit la voie de dizaines d'autres dirigeants de l'EI […] qui ne peuvent plus commettre d'atrocités odieuses ou répandre leur vile idéologie de haine pour empoisonner et recruter des esprits vulnérables. Ses actes maléfiques de décapitation, d'asservissement des femmes, de viols, de torture et de pure brutalité le suivent jusqu'à sa tombe», a commenté le secrétaire d'Etat américain.
En rappelant que le «califat» de l'EI a été défait en avril, Mike Pompeo soulève que la disparition d'Al-Baghdadi est «une preuve supplémentaire pour tous que les Etats-Unis ne s'arrêteront pas dans leur quête pour traduire le mal en justice et tenir leur promesse de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour assurer la sécurité des Etats-Unis et mettre ce fléau à genoux». «Le combat continue»: c'est bien sur ce mode que plusieurs dirigeants européens ont réagi dimanche. ▅