Spécial prévoyance: les maux du 2e pilier
Trois acteurs majeurs de la prévoyance débattent de l’avenir des retraites, de la baisse des taux techniques, de l’impact des transformations du marché du travail et émettent des propositions, comme l’obligation d’affiliation pour les indépendants
Sur le terrain politique, la prévoyance professionnelle tente sans grand succès de revoir le taux de conversion. Un malaise s’installe face à l’incapacité de réformer le système. Les taux techniques ne cessent de baisser pour tenir compte des rendements des marchés financiers. Mais un taux trop bas envoie un signal négatif aux assurés. Les acteurs du 2e pilier ne croient-ils plus à ce qu’ils font? Eclairage.
Le système de prévoyance suisse poursuit son déclin dans les classements internationaux. Il n’est plus que 12e au monde selon l’indice Mercer publié lundi dernier. Pourtant, la réforme de la prévoyance professionnelle n’a toujours pas été entreprise. Une proposition est maintenant sur la table d’Alain Berset, celle des partenaires sociaux. Elle prévoit une baisse du taux de conversion de 6,8% à 6%, couplée au versement d’un supplément de rente mensuel pendant quinze ans qui serait financé par un prélèvement sur les salaires AVS de 0,5%. Les paramètres doivent changer, mais d’autres aspects sont aussi urgents, selon trois acteurs de la prévoyance: Pascal Kuchen, directeur général de Copré, la Collective de prévoyance (850 entreprises et 12 000 assurés), à Lausanne, Patric Olivier Zbinden, responsable des clients entreprises auprès de Bâloise Assurances, à Bâle, et Martin Mlynar, président de la direction et cofondateur de Corestone, à Zoug, une société avec environ 40 milliards de francs d’actifs sous gestion.
1•QUE FAUT-IL CHANGER EN PRIORITÉ AU 2e PILIER?
«Les autorités ne se sont pas encore penchées sur l’adaptation de la prévoyance aux nouveaux développements du monde professionnel», indique Pascal Kuchen. De plus en plus d’actifs travaillent à temps partiel, sous forme de mandat, procèdent à une pause professionnelle, ont plusieurs employeurs. La politique devrait imaginer un système qui prend en compte les jeunes et leur nouvel environnement professionnel. Aujourd’hui, un salarié qui a trois emplois simultanément n’aura pratiquement pas de 2e pilier à cause de la déduction du montant de coordination. La solution serait de la supprimer ou de la réduire de manière linéaire quand l’employé travaille pour plusieurs employeurs, ou encore d’amener le principal employeur à assurer les éléments de salaires des autres emplois, propose Pascal Kuchen. La politique se penche sur les paramètres techniques (taux de conversion), mais ignore par exemple le temps partiel ou le monde des start-up et des sociétés individuelles.
L’indépendant n’est pas affilié de manière obligatoire. Demain, c’est un mode de vie qui devrait se propager, si bien qu’un indépendant devrait s’affilier de manière obligatoire à une institution de prévoyance, recommande Pascal Kuchen. Dans l’établissement des nouvelles sociétés, il arrive que les jeunes essaient de minimiser les versements aux 1er et 2e piliers et, de ce fait, annoncent un salaire modeste, par exemple de 20000 francs. Faut-il introduire un salaire assuré minimal plus élevé qu’aujourd’hui, demande Pascal Kuchen?
Il faut mener le débat entre les besoins de sécurité et de rendement des placements, propose Patric Olivier Zbinden. Les règles doivent assurer à tout moment que les placements soient le plus sûrs possible en offrant une certaine performance. Le 2e pilier a été conçu pour être financé par trois payeurs: l’assuré, l’entreprise et le marché financier. Mais la discussion devrait porter moins sur le financement que sur les prestations, avance-t-il. Dans l’AVS, la proposition qui est faite (AVS 21) tente d’injecter davantage d’argent sans revoir les prestations. Idem dans le 2e pilier, où la discussion doit être portée sur le taux de conversion. Le premier sujet à revoir est celui du taux de conversion. On ne peut pas garder le même système sans discuter de ce taux.
2•FAUT-IL CHANGER LA GOUVERNANCE DES CAISSES DE PENSION?
«Les assurés et les caisses de pension devraient s’engager davantage dans les choix stratégiques des entreprises», indique Martin Mlynar. Le gérant soutient aussi l’intégration des critères ESG. Les jeunes apprécient cet engagement et la place parfois au-dessus de la maximisation du rendement, dit-il.
Martin Mlynar, grand connaisseur de la situation aux Pays-Bas, apprécie le processus de consolidation massif qui s’est manifesté dans ce pays. Aux Pays-Bas d’ailleurs, le régulateur a imposé une professionnalisation de la prévoyance, de la gouvernance et des procédures, dans une perspective à long terme.
L’amélioration de la gouvernance d’une institution de prévoyance ajoute un rendement supplémentaire annuel de 1 à 2 points de pour-cent, lit-on dans Achieving Investment Excellence (Kees Koedijk, Alfred Slager, Jaap van Dam; Wiley, 2019), un livre destiné aux gérants de caisses de pension qui sera présenté en novembre lors d’une conférence de la CFA Society Switzerland. L’attention est trop portée aux considérations techniques et trop peu aux objectifs, à la gouvernance et à la stratégie à long terme, selon les auteurs.
3•AVEC DES TAUX TECHNIQUES DE 0 OU 1%, EST-CE QUE LES ACTEURS DU 2e PILIER N’Y CROIENT PLUS?
«Non, ce n’est pas mon avis», déclare Patric Olivier Zbinden. En vertu des règles de surveillance, les fonds du 2e pilier doivent être absolument sûrs quoi qu’il arrive. On ne peut pas spéculer et employer des paramètres trop élevés, dit-il.
«Si le taux technique tombe à 0%, comme le recommandent certains experts, les acteurs indiqueront qu’ils n’ont plus confiance dans le système», avance Pascal Kuchen. Les caisses de pension parviennent tout de même à présenter une performance correcte. Elle a certes été de -2,8% en 2018, mais en 2017 de +7,7% et en 2019 (fin septembre) de +9,12%. Un taux technique entre 1,5 et 2% est déjà «bien bas», selon Pascal Kuchen, en précisant que l’approche philosophique de la question est différente des deux côtés de la Sarine.
Le taux technique dépend du mode d’évaluation. «La valorisation au prix du marché est saine, mais si l’horizon est de 15 ans, il faut procéder à un lissage sous peine de rendre le système inéquitable et ne pas se limiter au rendement annuel», estime Martin Mlynar. Un taux en dessous de 2% n’est pas raisonnable, à son avis.
4•EST-CE QUE LA SÉCURITÉ DES INSTITUTIONS N’EST PAS TROP CHÈRE?
Dans un système du 2e pilier caractérisé par une forme d’épargne forcée, «les assurés soulignent leur besoin de garantie, de sécurité et de stabilité», selon Patric Olivier Zbinden. Les connaissances sur le fonctionnement de la prévoyance vieillesse n’ont guère progressé, estime-t-il. C’est pourquoi beaucoup d’assurés font confiance à une assurance complète et à un fournisseur qui puisse garantir une protection totale de l’avoir de vieillesse en tout temps.
«Le prix de la sécurité devient trop élevé», affirme Pascal Kuchen. Ce dernier anticipe l’essor des fondations collectives et des fondations collectives semi-autonomes, au détriment des assurances complètes (garanties complètes des assureurs) en raison du très bas taux de conversion et du taux rémunérateur pour le surobligatoire. La garantie de liquidité et de solvabilité continuera de trouver une demande, mais, à son avis, la nouvelle génération va trouver davantage d’intérêts dans d’autres prestations que le taux de conversion, par exemple dans un meilleur taux de rémunération de l’avoir de vieillesse ou une prime d’assurance «risque» plus basse.
Après la Seconde Guerre mondiale, les systèmes de prévoyance ont voulu éviter la pauvreté, mais, dans les années 1960 et 1970, leur objectif s’est modifié. On a promis le maintien du niveau de vie, rappelle Martin Mlynar. Or l’espoir d’une rente issue des 1er et 2e piliers équivalente à 60% ne sera pas rempli comme l’a montré une étude de Credit Suisse. Il appartient à l’Etat d’organiser la solidarité intergénérationnelle, indique Martin Mlynar. On a besoin d’une mutualisation des risques pour résoudre les risques collectifs. L’individualisation n’est bonne que pour les hauts revenus, à son avis.
5•QUEL SERA L’AVENIR DU 2e PILIER DANS CINQ OU DIX ANS? COMBIEN DE CAISSES DE PENSION RESTERA-T-IL?
En Suisse, le nombre de caisses de pension a diminué d’un tiers en dix ans pour tomber à 1643 pour un total de 894 milliards de francs d’actifs (2017), selon l’Office fédéral de la statistique. Les auteurs d’Achieving Investment Excellence placent le seuil critique à 5 milliards de francs par caisse de pension pour être efficient. Or 91% des institutions suisses gèrent moins de 1 milliard de francs. Seules 57 caisses gèrent plus de 3 milliards. On voit d’ailleurs que les coûts de gestion sont plus bas aux Pays-Bas, un marché de 1600 milliards d’euros dominé par deux géants, PPGM et APG, avec 500 milliards d’euros d’actifs au total pour les deux, et des institutions de 20 à 30 milliards. «Là-bas, les caisses de pension de 5 à 10 milliards d’euros sont considérées comme inefficientes. Aujourd’hui déjà, les petites et moyennes caisses doivent se poser la question de la taille minimum», déclare Martin Mlynar. La Suisse est un petit marché. La consolidation attendue devrait respecter le principe de subsidiarité. Mais «ce n’est pas un hasard si les caisses de pension suisses sous-performent leurs indices de référence alors que celles du Canada les dépassent», selon Martin Mlynar.
«Je ne crois pas qu’il n’y aura plus que quatre caisses de pension», estime Pascal Kuchen. De plus en plus de caisses de pension propres, dans les entreprises de 500 collaborateurs ou moins, vont se liquider pour intégrer des fondations collectives, prévoit-il.
«Le premier sujet à revoir est celui du taux de conversion» PATRIC OLIVIER ZBINDEN
«Le prix de la sécurité devient trop élevé» PASCAL KUCHEN
La grande question, selon Pascal Kuchen, sera celle de la vitesse de la réforme de la prévoyance. Si les professionnels s’accordent sur le besoin d’ajustement, le directeur général de Copré n’est «pas persuadé que ce sera la priorité de la nouvelle législature du parlement». Le climat devrait être l’alpha et l’oméga de l’agenda. «Cela m’inquiète dans le cadre du vieillissement démographique et d’un environnement économique inédit, avec des taux très bas», dit-il. Les débats d’après les élections confirment ces craintes. Cette nécessité de révision risque d’être détournée vers les discussions sur les placements durables (ESG), ajoute-t-il.
«Nous aurons tôt ou tard un signal politique qui nous permettra d’éclaircir et d’assainir la situation. Je pense à une baisse du taux de conversion en premier lieu», déclare Patric Olivier Zbinden. L’assurance complète conservera une part considérable, à son avis. Les caisses semi-autonomes perdureront. «Mais tôt ou tard nous aurons une séparation au niveau du prix entre les deux produits», dit-il. Aujourd’hui il n’est pas possible de réclamer une prime pour une perte sur le taux de conversion, par exemple. Aujourd’hui, la discussion avec les entreprises est souvent orientée sur les coûts. Mais elle n’est pas objective, à son goût, dans le sens où la capacité de l’assuré à payer le prix de cette garantie n’est pas prise en compte. Est-il incité à privilégier une solution autonome?
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