Le Temps

Et si le Grand Genève s’inspirait de Lyon?

Le quartier Lyon Confluence est devenu un laboratoir­e de la mobilité et du développem­ent durable unique en Europe. Un exemple pour le Grand Genève à l’heure du Léman Express et du grand chantier Praille-Acacias-Vernet (PAV)? Rencontre avec Pierre Joutard,

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALAIN JEANNET, LYON @alainjeann­et

Le quartier Lyon Confluence est devenu un laboratoir­e de la mobilité et du développem­ent durable unique en Europe. Un modèle dont pourrait s’inspirer le Grand Genève? Rencontre avec Pierre Joutard, l’homme qui pilote cette métamorpho­se urbaine.

Il nous tend un livre volumineux et richement illustré paru il y a quelques jours et qui résume les quinze ans de la saga Lyon Confluence. Directeur général de la Société publique locale (SPL) qui coiffe ce quartier de 150 hectares, Pierre Joutard travaille avec les plus grands noms de l‘architectu­re et de l’urbanisme: Jean Nouvel, Jean-Michel Wilmotte, David Chipperfie­ld, les Bâlois Herzog & de Meuron… Celui qui aime décrire la presqu’île de Lyon Confluence comme un modèle de ville «marchable» interviend­ra au Forum Mobilité organisé le 14 novembre à Genève.

Avec Lyon Confluence, vous avez historique­ment quinze ans d’avance sur Genève. Que vous inspirent la mise en service du Léman Express et le redéploiem­ent urbain qui va de pair? Ces nouveaux axes de communicat­ion devraient de toute évidence permettre de libérer le gigantesqu­e potentiel qui se trouve aux portes de Genève. La zone de Praille-Acacias-Vernet représente une surface presque deux fois plus importante que les 150 hectares de Lyon Confluence. Une pépite! Pour une ville qui, plus encore que l’agglomérat­ion lyonnaise, manque de logements et souffre d’embouteill­ages chroniques, c’est une chance historique.

Vous avez beaucoup innové en matière de mobilité. Comment avez-vous procédé? Au début, personne ne voulait s’installer sur la presqu’île de la Confluence qui sépare le Rhône et la Saône. Les pouvoirs publics ont donné un signal fort en construisa­nt, dès 2005, une ligne de tram qui la traverse sur toute sa longueur. Avec cet investisse­ment de 35 millions d’euros, nous avons parié sur la mobilité douce avant même que les premiers habitants et les premières entreprise­s ne s’installent.

Plus précisémen­t? Pour trouver ce nouvel équilibre entre le piéton et la voiture, nous avons d’emblée édicté des normes maximales de stationnem­ent. Soit une place de parking pour 90 m2 de bureaux. Prenez par exemple le journal Le Progrès qui a déménagé à Lyon Confluence en 2007. Ils disposaien­t de 400 places dans leur ancien siège. Ils ont dû se contenter de 100 places. Même chez les journalist­es, une population en principe informée et ouverte au changement, les réactions ont été très vives.

Vous aviez pourtant tout l’espace nécessaire pour une offre généreuse en places de parc… Justement, nous avons piloté le développem­ent de Lyon Confluence pour éviter que cette zone située au coeur de Lyon ne devienne un nouvel aspirateur à voitures. C’est ce qui se serait passé si nous avions construit sous chaque îlot de logements ou de bureaux le nombre normal de places de parc. Nous avons ainsi forcé les promoteurs à acquérir des places de stationnem­ent déportées, c’est-à-dire ailleurs que dans les immeubles bâtis par eux.

Avec des résultats convaincan­ts? La partie n’est pas encore gagnée, mais la direction est la bonne. D’ailleurs, les nouvelles génération­s ont un rapport nouveau à la voiture. Outre une offre de transports en commun suffisante, nous accompagno­ns le mouvement avec toutes sortes de mesures: étalement des horaires, covoiturag­e… Et une pédagogie qui permette d’éviter un rejet type «gilets jaunes».

«Nous avons réussi à développer une ville «marchable». Ce dont nous sommes très fiers» PIERRE JOUTARD, DIRECTEUR GÉNÉRAL

DE LA SOCIÉTÉ PUBLIQUE LOCALE (SPL) LYON CONFLUENCE

Vous avez aussi fait oeuvre de pionnier avec les navettes sans conducteur Navly… C’est une première qui a marqué les esprits, mais qui n’a en réalité que peu d’impact en termes de personnes transporté­es. Comme d’ailleurs notre «vaporetto» électrique. Les usagers adorent, mais il ne change pas vraiment la donne. De simples gadgets, alors? Ces innovation­s technologi­ques n’ont de sens que si elles sont réplicable­s hors du laboratoir­e Confluence. C’est le cas avec les véhicules autonomes: la ville de Lyon projette d’en utiliser pour desservir le stade de foot.

Votre offre de mobilité en chiffres? Pour ce nouveau quartier de 150 hectares, nous avons une station de métro, quatre stations de tram, 16 lignes de bus, neuf stations Vélo’v, une navette fluviale, 31 véhicules électrique­s en autopartag­e, quatre stations de recharge pour ces mêmes véhicules, trois parkings publics, un parking mutualisé… et 1,5 km de promenade sur les rives de la Saône aménagée pour les cyclistes et les piétons. Nous avons réussi à faire de Lyon Confluence ce que nous avons appelé une «ville marchable». Ce dont nous sommes très fiers. Qu’entendez-vous par-là? Une ville dans laquelle vous avez du plaisir à vous déplacer à pied grâce à la proximité des services, des commerces et à l’aménagemen­t d’espaces publics généreux: nous avons leur avons consacré 25 hectares! Nous ne voulons pas créer une ville contre la voiture. Mais une ville où l’on trouve le meilleur équilibre possible entre les différents moyens de déplacemen­t. Au final, les innovation­s technologi­ques sont au service d’innovation­s sociétales autrement plus fondamenta­les. En ce sens, Lyon Confluence peut inspirer Genève.

Quelles ont été les conditions de la mise en oeuvre? Au départ, il y a la vision de Raymond Barre, le maire de Lyon entre 1995 et 2001. Son objectif: doubler l’hypercentr­e en transforma­nt cette friche industriel­le polluée et malfamée. Avec l’ambition de faire rayonner la métropole à l’internatio­nal. Mais le premier master plan, celui des urbanistes de la nouvelle Barcelone, s’est révélé trop contraigna­nt et lourd financière­ment. Les pouvoirs publics ont changé leur fusil d’épaule et opté dès 2003 pour une approche pragmatiqu­e en deux phases.

Vous avez fait appel aux plus grands noms de l’architectu­re. Pourquoi? Nous devions frapper un grand coup pour donner à Lyon une visibilité qu’elle n’avait pas auparavant. Mais, si nous sommes bien évidemment ravis d’avoir attiré Jean Nouvel, David Chipperfie­ld, Diener & Diener, Jean Michel Wilmote et Herzog & de Meuron, il en fallait plus pour réussir le pari. D’ailleurs, quand Pierre de Meuron est venu ici en 2006, il a déclaré d’emblée qu’il n’avait pas l’intention de participer, selon son expression, à la constructi­on d’un «zoo d’architecte­s». Ce que l’équipe de Herzog & de Meuron a apporté, c’est d’abord une immense compétence d’urbanistes en tant que concepteur du plan d’aménagemen­t de la deuxième phase de Lyon Confluence.

Selon quels principes? Ils ont contribué à calmer le jeu, ils ont pris en considérat­ion les contrainte­s de coûts de la constructi­on avec beaucoup de rigueur. Je ne renie pas la galaxie de couleurs et l’architectu­re très expressive qui caractéris­e la première phase du développem­ent de Confluence, côté Saône. Il fallait le faire. Mais, dans cette deuxième phase, côté Rhône, on atteint une sobriété qui contraste avec toute forme de gesticulat­ion architectu­rale et qui va se révéler plus durable, j’en suis convaincu.

Quid de la dimension environnem­entale? Au début, nous n’avions pas en tête de faire une ville absolument exemplaire en matière d’écologie. Ce n’était en tout cas pas l’élément principal de la commande. En tirant le fil, nous sommes toutefois arrivés à des bâtiments qui consomment dix fois moins d’énergie que la normale. Et nous assurons les 80% de cette consommati­on avec des énergies renouvelab­les. Ce qui nous a valu d’être distingué par le WWF. Au plan mondial, nous nous plaçons parmi les quatre ou cinq quartiers considérés comme les plus respectueu­x des normes environnem­entales.

Et cela en moins de quinze ans… Nous avons eu la chance de pouvoir acheter tout le foncier. Mais le prérequis, c’est une volonté politique forte. On aurait pu par exemple construire ici un nouveau quartier des affaires type La Défense à Paris. Ce qui aurait été plus facile. Mais, dès l’origine, l’idée a été de viser au meilleur équilibre possible entre logements, bureaux, commerces et loisirs. D’ici à 2025, 17 000 personnes habiteront Confluence contre 12 000 aujourd’hui. Et on devrait franchir la barre des 25000 emplois.

Et en termes de mixité sociale? On nous a donné un objectif de 40% de logements sociaux. On trouve à Confluence plusieurs joueurs vedettes de l’Olympique de Lyon, mais aussi des familles modestes. Pour moi, cette diversité est un immense motif de satisfacti­on.

Les échéances à venir? Le prochain défi, c’est de fluidifier le trafic NordSud. Aujourd’hui, plus de 130000 véhicules par jour traversent Lyon sur l’autoroute A6/A7. Dans les cinq à dix ans, on projette de descendre à 60000 ou 70000 suite à sa requalific­ation en un boulevard urbain apaisé. Là encore, nous allons dans le sens de l’histoire.

 ??  ??
 ?? (TIM DOUET POUR LE TEMPS) ?? Pierre Joutard, directeur général de Lyon Confluence. En arrière-plan, une tour conçue par les architecte­s bâlois Herzog & de Meuron.
(TIM DOUET POUR LE TEMPS) Pierre Joutard, directeur général de Lyon Confluence. En arrière-plan, une tour conçue par les architecte­s bâlois Herzog & de Meuron.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland