L'Etat islamique reste en embuscade
La disparition du leader ne signifie pas la fin de son organisation. Au contraire, celle-ci a le vent en poupe
Nous sommes en juin 2006. Le djihadiste Abou Moussab al-Zarqaoui est tué au terme d'une longue traque menée notamment par les forces spéciales américaines. Le monde peut respirer: responsable d'Al-Qaida en Irak, Al-Zarqaoui a mené des centaines d'attaques suicides et contribué à transformer en enfer l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis. Mais le répit sera de courte durée. C'est sur le cadavre du djihadiste que se créera l'organisation Etat islamique, après qu'Abou Bakr al-Baghdadi eut pris le relais.
Nous sommes maintenant cinq ans plus tard, en mai 2011. Cette fois, c'est Oussama ben Laden qui est abattu, au terme de la spectaculaire opération menée à Abbottabad, au Pakistan. Le chef d'Al-Qaida est mort, mais pas son organisation. Au Moyen-Orient, mais aussi en Asie ou en Afrique, la nébuleuse n'a cessé de reprendre des forces, se restructurant patiemment, au point de revendiquer notamment l'attentat contre Charlie Hebdo à Paris, en janvier 2015.
La mort d'Abou Bakr al-Baghdadi est un énorme coup porté à l'organisation Etat islamique, ne serait-ce que par la mythologie religieuse dont il se drapait. Mais, encore davantage que dans les cas précédents, il est difficile de croire que cette mort puisse sonner le glas du mouvement djihadiste en Syrie et en Irak. Au contraire, tous les voyants restent au rouge: coïncidant avec le retrait américain de Syrie (sauf pour «garantir la sécurité du pétrole», selon Donald Trump), cette opération s'est déroulée alors que l'Etat islamique est porté par de nombreux éléments en sa faveur.
Ressentiment et radicalisation
A la mise au pas des milices kurdes – qui étaient l'ennemi principal des djihadistes sur le terrain – s'ajoute le ressentiment contre la double avancée de la Turquie et de l'armée syrienne, qui accroît encore le ressentiment et la radicalisation d'une partie de la population. Loin d'être éradiqué, l'Etat islamique est en embuscade. Et la succession d'Al-Baghdadi, même si elle provoquera sans doute des scissions, avait déjà été soigneusement programmée.
A cela s'ajoute un élément encore plus troublant: une des thèses qui expliqueraient la présence surprenante d'Al-Baghdadi à Idlib serait sa volonté de rapprocher l'Etat islamique d'Al-Qaida. Parmi les milices qui se partagent le terrain dans cette province du nord-ouest de la Syrie, c'est le groupe Hurras Ad-Din qui se réclame directement de la centrale d'Al-Qaida, à l'inverse de toutes les autres factions qui sont les ennemis jurés de l'Etat islamique. Or, même si Al-Baghdadi est mort, cette fusion, qui décuplerait la force des djihadistes, reste encore à l'ordre du jour.