Le Temps

L’Eglise près d’accepter des prêtres mariés

Après trois semaines de Synode sur l’Amazonie, au cours duquel des débats nourris ont eu lieu, le pape doit se prononcer sur deux sujets sensibles: l’ordination d’hommes mariés et la place des femmes dans l’Eglise

- ANTONINO GALOFARO, ROME @ToniGalofa­ro

Aiku est sur la route de retour vers sa Guyane française natale samedi quand, à Rome, plusieurs dizaines d’évêques ouvrent la possibilit­é «d’ordonner prêtres des hommes mariés» à la condition qu’ils soient déjà diacres et «reconnus par [leur] communauté». L’homme d’une quarantain­e d’années et sa femme dirigent un groupe de quelques dizaines de catholique­s au coeur de l’Amazonie, où ils prient dans la petite chapelle qu’ils ont euxmêmes construite. Leur problème: aucun prêtre ne se trouve auprès d’eux et ils peuvent attendre des heures ou même des jours pour célébrer un baptême ou un mariage.

«Convaincre un prêtre d’apprendre une langue parlée par 1500 personnes est difficile» EMMANUEL LAFONT, ÉVÊQUE DE CAYENNE

Le pontife argentin a souhaité consacrer une assemblée extraordin­aire à l’une des régions les plus «vulnérable­s du monde». Il a donc appelé autour de lui trois semaines durant les prélats d’Amérique du Sud pour débattre de nombreuses questions dont, outre la question environnem­entale, le manque de prêtres et de vocations. Ses invités lui ont proposé samedi un document d’un peu plus d’une trentaine de pages comprenant quelque 120 paragraphe­s. Chaque point a été soumis au vote. Tous ont été approuvés par plus de deux tiers des voix. Le texte n’est que consultati­f cependant, le dernier mot revenant au pape, dans un délai encore inconnu. Un François qui a exhorté dimanche, lors de la messe de conclusion du synode, à «écouter le cri des pauvres». «C’est le cri d’espérance de l’Eglise», a-t-il expliqué.

Un «cri» à écouter

La voix d’Aiku est douce et posée lorsqu’il raconte sa réalité, assis dans un petit salon d’une résidence du Vatican, à quelques centaines de mètres de la place SaintPierr­e. Son récit fait partie de ces «cris» à écouter. Son village se trouve à deux heures de pirogue et une heure d’avion de la capitale. Il n’a ni eau courante ni électricit­é sinon celle fournie par son générateur. Pour les catholique­s, «il y a un prêtre sur le fleuve trois jours par semaine», raconte Aiku. Le reste du temps, «on se débrouille comme on peut». Par exemple, pour les célébratio­ns des baptêmes et des mariages, «nous préparons tout en amont avec l’aide du prêtre par téléphone». Si et quand il réussit à venir.

Mais l’idée d’un prêtre «de passage» ne réjouit pas le pape François, qui insiste sur une «pastorale de présence». Mgr Emmanuel Lafont, l’évêque de Cayenne, «se bat pour cela depuis quinze ans», mais doit affronter de nombreuses difficulté­s, comme l’apprentiss­age des langues amérindien­nes. «Convaincre un prêtre d’apprendre une langue parlée par 1500 personnes, comme la langue d’Aiku, dans une communauté où il ne passera pas sa vie, c’est difficile», regrette le prélat. Il reconnaît donc que «là où l’évêque ne peut pas envoyer un prêtre plus d’une ou deux fois par an», il peut s’avérer nécessaire «d’ordonner prêtres des hommes mariés».

Aiku est «acolyte», le plus élevé des quatre ordres mineurs, il peut déjà assister un prêtre lors de célébratio­ns liturgique­s. Son épouse, elle, est catéchiste. «Leur formation est une priorité, insiste Mgr Lafont, car il faut éviter d’avoir une Eglise totalement cléricale: il faut retrouver une vie ecclésiale qui ne tienne pas seulement à la présence du prêtre.» Et d’espérer qu’une plus grande place sera accordée à la femme.

Un article «grotesque»

L’appel semble avoir été entendu. «Dans les nouveaux contextes d’évangélisa­tion et de pastorale en Amazonie, où la majorité des communauté­s catholique­s sont dirigées par des femmes, nous demandons que le ministère institué de «la femme leader de la communauté» soit créé et reconnu au service des exigences changeante­s de l’évangélisa­tion et des soins communauta­ires», récite ainsi le 102e point. Le texte rappelle par ailleurs que «le diaconat permanent pour les femmes a été demandé» lors d’un «grand nombre de consultati­ons».

«Quand je pense qu’il y a encore un article du droit canon qui dit qu’une femme ne peut pas prêcher durant la messe, c’est grotesque, s’emporte l’évêque de Cayenne. Il faut que cela tombe. La femme a une capacité de parole, d’explicatio­n des Ecritures, de témoignage, très complément­aire à celle des hommes et il faut la valoriser.» Au pape maintenant de transforme­r en décision concrète ces divers souhaits sur la place à accorder aux femmes ou et sur les critères à adopter pour accepter d’ordonner prêtre un homme marié. François fera part de ses décisions dans sa prochaine exhortatio­n apostoliqu­e post-synodale. Il prendra en compte les débats de ses évêques mais surtout les «cris des pauvres», comme ceux d’Aiku. ▅

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(ALESSANDRA BENEDETTI/CORBIS) Des cardinaux lors de la cérémonie de clôture du Synode sur l’Amazonie.

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