«Nous proposons une solution gagnante»
GENÈVE Déclasser un terrain agricole au Pré-du-Stand pour créer un centre d’entraînement au football et un cycle d’orientation? Avant la votation du 24 novembre, le conseiller d’Etat Thierry Apothéloz et le président du Servette FC Didier Fischer défenden
La triangulation avait l’air simple: le Cycle du Renard, en mauvais état, quitte son adresse actuelle dans la commune de Vernier pour être reconstruit, à Balexert. Là, Servette FC abandonne les containers qui servent de bureaux et de vestiaires au bord des terrains d’entraînement des juniors pour construire, non loin de l’aéroport, un centre de formation et cinq terrains, dont un pour la commune de Grand-Saconnex. Pour ce faire, une hoirie vend sa terre agricole à un privé, qui reçoit l’autorisation de construire des bureaux contre l’obligation de financer l’opération. Au Grand Conseil, le vote sur le déclassement de la parcelle au Prédu-Stand a été ardu, mais il est passé. Les Verts, contre l’avis du premier d’entre eux, président du Conseil d’Etat, s’opposent au sacrifice de ces 12,8 hectares cultivés. Et l’entrepreneur au bénéfice du droit de surface s’est pris les pieds dans le tapis de l’affaire Maudet puisqu’il est l’un des prévenus, ce qui a déclenché l’ire de l’extrême gauche et du MCG. Ces trois partis ayant fait aboutir un référendum, les Genevois sont appelés à voter sur ce déclassement le 24 novembre. Le conseiller d’Etat chargé des Sports, le socialiste Thierry Apothéloz, et Didier Fischer, président du Servette FC, défendent ici leur projet.
Pourquoi vaut-il mieux faire pousser des footballeurs que des salades sur cette zone agricole?
Thierry Apothéloz: Notre territoire est en mutation continue. Cela nécessite des déplacements d’activités. On peut aussi se demander si ce sont les salades les plus saines du canton que l’on fait pousser à Pré-du-Stand. Nous proposons une solution avec un trio gagnant: un centre de formation remplace des cultures intensives et libère de la place pour un nouveau cycle d’orientation afin de détruire l’actuel, vétuste, luimême étant remplacé par des logements. Pour la politique sportive que je porte, je veux garantir des terrains d’entraînement
«Si on manque de blé à Genève, on en achètera dans le canton de Vaud. Par contre, si nos jeunes ne peuvent s’entraîner à Genève, iront-ils jusqu’à Berne pour le faire?» DIDIER FISCHER, PRÉSIDENT DU SERVETTE FC
dignes du niveau qu’a atteint Servette FC. Voir Denis Zakaria et Kevin MBabu, des purs produits de la formation genevoise, participer au match Suisse-Irlande, au Stade de Genève, c’est une grande fierté.
Faire courir des jeunes sur ce terrain pollué, est-ce mieux que d’y faire pousser des salades?
T. A.: Selon une étude récente, la qualité de l’air s’est améliorée à cet endroit. Et les sportifs n’y courront que momentanément, alors que les salades y poussent en continu, coincées à proximité de l’aéroport et de l’autoroute. Didier Fischer: Il faut replacer ce dossier dans le contexte de pression urbaine inhérente au canton de Genève. On densifie sur un territoire qui reste le même. Créer un centre de formation se fait forcément au détriment d’autre chose. Si on manque de blé à Genève, on en achètera dans le canton de Vaud. Par contre, si nos jeunes ne peuvent s’entraîner à Genève, iront-ils jusqu’à Berne pour le faire? Cet arbitrage est un choix de société.
N’y a-t-il pas d’autre parcelle pour construire ce centre?
T. A.: A Vernier, au lieu-dit «Crotte-aux-Loups», il aurait fallu acheter les terrains à de multiples propriétaires, ce qui aurait renchéri et ralenti l’opération. Aux Evaux, cinq communes sont propriétaires des lieux qui sont destinés à la détente et aux loisirs. L’analyse du Conseil d’Etat a donc été que Pré-du-Stand est la solution la plus adaptée à l’urgence de la situation: en 2024, 1490 enfants supplémentaires intégreront le Cycle. La commune du Grand-Saconnex, elle, grandit et a des besoins en équipements publics.
Faut-il sacrifier de la zone agricole pour autant?
T. A.: Ces 12,8 hectares sont en culture intensive. Il ne s’agit pas d’une prairie. Un hectare d’espace public sera créé, 4 hectares seront végétalisés, avec la plantation de 260 arbres. Les équipements publics occuperont pour leur part 7 hectares. Le sacrifice lié à ce déclassement sera compensé par une plus-value pour la population et une biodiversité plus importante.
Combien d’enfants s’entraînent aujourd’hui à Balexert?
D. F.: Ils sont 230. Les juniors de l’Association Servette FC, les 7-9 ans, le foot éco cantonal, les 9-13 ans, les meilleurs des 63 autres clubs cantonaux qui donnent un mandat de formation à l’association Genève éducation football (GEF), l’élite dès 15 ans. Le Servette FC Chênois féminin, soit 78 filles, rencontre un gros problème de place aux Trois-Chênes si bien qu’elles viennent également à Balexert. Des containers ont été installés en guise de bureaux et de vestiaires. Nous avons dû déménager la première équipe masculine, qui s’entraîne désormais à Perly ou aux Cherpines, selon les jours, le Stade de Genève étant réservé aux matchs afin de préserver la pelouse. Un club se construit notamment sur une proximité vertueuse entre ceux qui se forment et l’élite. Il faut que ces groupes travaillent ensemble pour faire passer des messages communs.
Les bons résultats d’aujourd’hui ont été développés dans les infrastructures actuelles. Pourquoi y a-t-il besoin de les améliorer?
D. F.: Car nous avons besoin de créer cet esprit rassembleur. La formation est un tout. Nous investissons dans un encadrement sportif, médical, psychologique, technique et nous voulons attirer les meilleures compétences dans ces domaines. Or, les attirer dans des containers, c’est difficile. Le SFC – GEF est un des huit centres homologués par l’Association suisse de football (ASF) en Suisse. L’ASF a toutefois posé des conditions. La pérennité de ce label dépend du fait que nous pouvons continuer à offrir cet encadrement et améliorer les infrastructures.
Le canton a longtemps délaissé le sport. Pourquoi cet intérêt soudain? T. A.: Les communes portent historiquement ce domaine, en assurant un accès à la population aux installations. Le canton s’y est mis tardivement. Une loi sur le sport par laquelle le canton s’occupe des infrastructures d’envergure cantonale et soutient la relève et l’élite date seulement de 2014. Je pense que l’on a atteint une bonne complémentarité. Chaque week-end, il y a 82000 personnes au bord des terrains. Onze mille juniors jouent dans les clubs genevois. Il y a un intérêt fort à leur apporter notre soutien.
D. F.: L’éducation par le sport, nous l’appliquons au quotidien au centre de formation. Lorsqu’ils s’adressent aux adultes, les élèves doivent retirer casquette et écouteurs. Ils attendent leur tour pour vous saluer. Leurs entraîneurs discutent aussi de leur cursus scolaire qui est primordial dans le développement. Nous nous occupons concrètement de leur avenir.
Peu d’entre eux deviendront professionnels. N’est-ce pas leur faire passer le mauvais message?
D. F.: Quoi qu’il arrive, ils ressortiront plus forts, munis de valeurs et enrichis par leur parcours. Ce centre nous donnera les moyens d’assurer une formation au bénéfice des enfants et des 64 clubs genevois. Au sein de notre académie, il y a une quarantaine de nationalités, c’est une vraie richesse. Il est important de démontrer à ces familles que leur engagement débouche sur quelque chose de positif. Avoir des jeunes sans formation, sans racines, dans une société très dure, c’est risquer de créer de l’isolement et des personnes qui se comportent comme des consommateurs. Dans le sport, on apprend à grandir ensemble. Il faut donner des armes et des valeurs à ces jeunes. Un ex-pro comme Massimo Lombardo a accepté le poste de responsable de la formation car il sent qu’il existe un projet intéressant. Adrian Ursea, ex-adjoint de Lucien Favre, s’occupe de nos moins de 21 ans. Ces professionnels viennent dans la perspective de pouvoir assurer une formation de qualité dans des infrastructures adaptées.
T. A.: Le centre de Pré-du-Stand est le moyen de concrétiser ces valeurs que le sport développe. La formation que suivent les juniors alimente le goût de l’effort.
Pourquoi les citoyens devraient-ils accorder leur confiance à une entreprise, le Servette FC, qui s’est longtemps signalée par ses excès?
D. F.: Je suis aujourd’hui assis à côté des autorités. C’est une forme de reconnaissance de notre crédibilité. Le club ne s’est pas réveillé vertueux, un beau jour. La confiance se construit en travaillant avec les associations et les autres clubs. Nous ne perdons jamais de vue qu’il s’agit d’un projet communautaire. Le club appartient au public. Pendant quinze ans, évoquer Servette c’était parler de non-paiement de salaires et d’échecs. Nous avons réappris les fondamentaux. Ce club n’est pas une manière d’exister pour ceux qui s’en occupent. Ce qui nous importe, c’est sa pérennité.
Pour les autorités, Servette est-il un partenaire devenu crédible?
T. A.: Oui. L’équipe dirigeante n’est pas dans l’apparat mais dans la construction de valeurs que nous partageons. Ce qui m’intéresse, c’est de construire quelque chose de fort avec Servette et le projet du centre nous y aidera. Je veux faire en sorte que nos jeunes arrêtent de regarder des clubs à la télévision et viennent voir les matchs du Servette!
D. F.: Cette votation a un côté très émotionnel. Or, la vraie émotion, c’est celle que l’on construit pour demain, avec ce centre.
«Le sacrifice lié à ce déclassement sera compensé par une plus-value pour la population et une biodiversité plus importante» THIERRY APOTHÉLOZ, CONSEILLER D’ÉTAT CHARGÉ DES SPORTS
Didier Fischer, comme ingénieur agronome, comment jugez-vous la qualité de la terre agricole à déclasser?
D. F.: Ne disposant pas des analyses nécessaires, je ne peux ni juger sa qualité ni la qualité des denrées qui y poussent. Aujourd’hui, le débat sur les cultures raisonnées sans produits de synthèse est intense et je ne connais pas la façon dont ces terres ont été cultivées. Ce que je sais par contre c’est que le FC Saint-Gall a construit un stade et six terrains au bord de l’autoroute Zurich-Munich. Si cela représentait un danger pour les enfants, l’ASF n’aurait jamais donné son feu vert.
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