Doutes sur les placements illiquides
Les actifs des investisseurs institutionnels attendant d’être placés dans les marchés illiquides ont fortement augmenté récemment. Il paraît raisonnable de questionner les attentes de rendement, souvent élevées, de l’ensemble de ces placements.
Les actifs attendant d’être investis dans les marchés illiquides ont fortement augmenté ces dernières années
La baisse continue des taux d’intérêt depuis plus d’une vingtaine d’années a fortement influencé l’allocation stratégique des institutions de prévoyance. Devant des attentes de rendement qui n’ont cessé de baisser, elles ont été forcées de progressivement augmenter le risque de leurs placements afin d’assurer le financement des prestations.
En analysant l’évolution de l’allocation d’actifs des caisses de pension, on constate que l’accroissement des placements risqués s’est fait en plusieurs étapes et a été conditionné par l’évolution des marchés. Jusqu’à la crise de 2008, la prise de risque supplémentaire s’est essentiellement traduite par l’accroissement des placements en actions et en immobilier suisse ainsi que par l’introduction d’obligations d’entreprises dans les portefeuilles. Après 2008, refroidis par le risque «actions», mais toujours contraints par des exigences élevées de performance, les investisseurs institutionnels ont cherché à accroître la diversification de leur portefeuille en se tournant vers l’immobilier international et certains placements alternatifs tels que la dette privée ou le private equity. Parallèlement à ces nouveaux investissements, les caisses de pension ont continué à augmenter leur exposition à l’immobilier suisse et, dans une moindre mesure, aux actions.
Forte hausse des placements illiquides
L’introduction des taux négatifs en décembre 2014, renforcée par l’abandon du taux plancher en janvier 2015, est le dernier événement majeur ayant fortement influencé l’allocation des actifs des institutions de prévoyance. Devant la chute drastique des taux en francs, un fort mouvement vers les classes d’actifs illiquides s’est produit. La part de ces placements se montait, en moyenne, à 22% entre 2008 et 2014 alors qu’ils représentent près de 30% des portefeuilles à fin 2018.
Les placements illiquides regroupent toute une série de classes d’actifs allant de l’immobilier au private equity en passant par l’infrastructure ou les prêts non cotés. Ils sont caractérisés par une absence de marchés organisés, rendant tant l’investissement que le désinvestissement très longs. Par exemple, l’investissement dans un programme de private equity nécessite d’investir sur plusieurs années avant d’atteindre l’exposition souhaitée. De même, la phase de sortie est dictée par le rythme des remboursements et dure également plusieurs exercices. L’investisseur doit donc bien comprendre le fonctionnement et les contraintes de ces placements et, surtout, être patient. En souhaitant investir trop rapidement, il risque de payer trop cher et celui qui souhaiterait vendre rapidement risque devoir supporter d’importantes moins-values.
Impact sur le taux de couverture
Néanmoins, cette absence de liquidité comporte aussi des avantages. Pour les caisses de pension, l’accroissement de la proportion de placements non cotés stabilise leur degré de couverture. Cela permet également d’accroître les attentes de rendement du portefeuille en investissant dans des actifs globalement plus risqués mais peu volatiles.
Rappelons que la volatilité est la mesure habituelle du risque d’un placement. Un investissement peu volatil apparaît donc comme faiblement risqué, alors qu’il n’en est rien pour la majorité des placements illiquides.
La recherche de sources de performances additionnelles n’est toutefois pas l’apanage des institutions de prévoyance helvétiques. La grande majorité des investisseurs institutionnels autour du globe rencontrent les mêmes difficultés et appliquent souvent les mêmes solutions. Du reste, des études récentes montrent que les actifs attendant d’être investis dans les marchés illiquides ont fortement augmenté ces dernières années. Il paraît donc raisonnable de questionner les attentes de rendement, souvent élevées, de ces placements.
L’investisseur doit se demander s’il sera correctement rémunéré pour les risques pris et tenir compte de la perte de flexibilité induite par l’illiquidité. Il doit aussi questionner le degré d’illiquidité de son portefeuille existant et définir le montant maximal supportable à moyen et à long terme, sachant qu’une forte baisse des placements liquides entraînera probablement un accroissement de la part des placements illiquides. Il n’y a pas de réponse unique à ces questions et chaque caisse de pension doit y répondre en tenant compte de ses spécificités, notamment de sa structure démographique et de sa tolérance au risque.
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