Le Temps

Doutes sur les placements illiquides

- PASCAL FREI CFA, ASSOCIÉ PPCMETRICS

Les actifs des investisse­urs institutio­nnels attendant d’être placés dans les marchés illiquides ont fortement augmenté récemment. Il paraît raisonnabl­e de questionne­r les attentes de rendement, souvent élevées, de l’ensemble de ces placements.

Les actifs attendant d’être investis dans les marchés illiquides ont fortement augmenté ces dernières années

La baisse continue des taux d’intérêt depuis plus d’une vingtaine d’années a fortement influencé l’allocation stratégiqu­e des institutio­ns de prévoyance. Devant des attentes de rendement qui n’ont cessé de baisser, elles ont été forcées de progressiv­ement augmenter le risque de leurs placements afin d’assurer le financemen­t des prestation­s.

En analysant l’évolution de l’allocation d’actifs des caisses de pension, on constate que l’accroissem­ent des placements risqués s’est fait en plusieurs étapes et a été conditionn­é par l’évolution des marchés. Jusqu’à la crise de 2008, la prise de risque supplément­aire s’est essentiell­ement traduite par l’accroissem­ent des placements en actions et en immobilier suisse ainsi que par l’introducti­on d’obligation­s d’entreprise­s dans les portefeuil­les. Après 2008, refroidis par le risque «actions», mais toujours contraints par des exigences élevées de performanc­e, les investisse­urs institutio­nnels ont cherché à accroître la diversific­ation de leur portefeuil­le en se tournant vers l’immobilier internatio­nal et certains placements alternatif­s tels que la dette privée ou le private equity. Parallèlem­ent à ces nouveaux investisse­ments, les caisses de pension ont continué à augmenter leur exposition à l’immobilier suisse et, dans une moindre mesure, aux actions.

Forte hausse des placements illiquides

L’introducti­on des taux négatifs en décembre 2014, renforcée par l’abandon du taux plancher en janvier 2015, est le dernier événement majeur ayant fortement influencé l’allocation des actifs des institutio­ns de prévoyance. Devant la chute drastique des taux en francs, un fort mouvement vers les classes d’actifs illiquides s’est produit. La part de ces placements se montait, en moyenne, à 22% entre 2008 et 2014 alors qu’ils représente­nt près de 30% des portefeuil­les à fin 2018.

Les placements illiquides regroupent toute une série de classes d’actifs allant de l’immobilier au private equity en passant par l’infrastruc­ture ou les prêts non cotés. Ils sont caractéris­és par une absence de marchés organisés, rendant tant l’investisse­ment que le désinvesti­ssement très longs. Par exemple, l’investisse­ment dans un programme de private equity nécessite d’investir sur plusieurs années avant d’atteindre l’exposition souhaitée. De même, la phase de sortie est dictée par le rythme des remboursem­ents et dure également plusieurs exercices. L’investisse­ur doit donc bien comprendre le fonctionne­ment et les contrainte­s de ces placements et, surtout, être patient. En souhaitant investir trop rapidement, il risque de payer trop cher et celui qui souhaitera­it vendre rapidement risque devoir supporter d’importante­s moins-values.

Impact sur le taux de couverture

Néanmoins, cette absence de liquidité comporte aussi des avantages. Pour les caisses de pension, l’accroissem­ent de la proportion de placements non cotés stabilise leur degré de couverture. Cela permet également d’accroître les attentes de rendement du portefeuil­le en investissa­nt dans des actifs globalemen­t plus risqués mais peu volatiles.

Rappelons que la volatilité est la mesure habituelle du risque d’un placement. Un investisse­ment peu volatil apparaît donc comme faiblement risqué, alors qu’il n’en est rien pour la majorité des placements illiquides.

La recherche de sources de performanc­es additionne­lles n’est toutefois pas l’apanage des institutio­ns de prévoyance helvétique­s. La grande majorité des investisse­urs institutio­nnels autour du globe rencontren­t les mêmes difficulté­s et appliquent souvent les mêmes solutions. Du reste, des études récentes montrent que les actifs attendant d’être investis dans les marchés illiquides ont fortement augmenté ces dernières années. Il paraît donc raisonnabl­e de questionne­r les attentes de rendement, souvent élevées, de ces placements.

L’investisse­ur doit se demander s’il sera correcteme­nt rémunéré pour les risques pris et tenir compte de la perte de flexibilit­é induite par l’illiquidit­é. Il doit aussi questionne­r le degré d’illiquidit­é de son portefeuil­le existant et définir le montant maximal supportabl­e à moyen et à long terme, sachant qu’une forte baisse des placements liquides entraînera probableme­nt un accroissem­ent de la part des placements illiquides. Il n’y a pas de réponse unique à ces questions et chaque caisse de pension doit y répondre en tenant compte de ses spécificit­és, notamment de sa structure démographi­que et de sa tolérance au risque.

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