Le Temps

Mario Draghi parti, la BCE divisée

Emmanuel Macron et Angela Merkel seront, aux cotés des autres dirigeants de la zone euro, présents ce lundi à Francfort pour installer Christine Lagarde aux commandes de la BCE. Sur fond de divisions à calmer d’urgence

- RICHARD WERLY, BRUXELLES @LTwerly

L’offensive n’a pas tardé. Pas encore installée aux commandes de la Banque centrale européenne (BCE) à Francfort, où les chefs d’Etat ou de gouverneme­nt seront présents à ses cotés ce lundi avant sa prise de fonction officielle vendredi 1er novembre, Christine Lagarde voit déjà se multiplier les éditoriaux et commentair­es interrogat­eurs dans la presse allemande. Exemple des attaques: les questionne­ments sur la «compétence» de cette avocate internatio­nale, ancienne ministre des Finances française (2007-2011) et directrice générale du Fonds monétaire internatio­nal depuis lors… alors qu’elle n’a aucun diplôme en économie (elle n’a que l’équivalent d’un master en droit des affaires).

«Les éditoriali­stes allemands oublient sans vergogne que la direction du FMI vaut tous les diplômes financiers, nous expliquait début octobre l’économiste Joseph Stiglitz, pourtant pourfendeu­r régulier de l’institutio­n et détracteur de la monnaie unique. Ce qu’il faut retenir de cette offensive médiatique, c’est que la BCE est aujourd’hui le théâtre d’une guerre de tranchées.»

Cette bataille au sein de la Banque centrale européenne a été illustrée, le 24 septembre, par la démission surprise de l’Allemande Sabine Lautenschl­äger, membre de son directoire. L’on connaissai­t, compte tenu de ses multiples prises de position publiques, l’opposition du gouverneur de la Bundesbank, Jens Weidmann, aux huit baisses de taux et dix annonces de rachat de dettes (le fameux «quantitati­ve easing») mises en oeuvre durant les huit années de Mario Draghi à la tête de la BCE. L’on savait que Weidmann a très mal supporté d’être écarté d’emblée de la course à la succession de Draghi en raison de ses recours contre les «Outright Monetary Transactio­ns» de la BCE auprès de la Cour constituti­onnelle de Karlsruhe, tous rejetés. Qu’une crise ouverte ait éclaté au sommet de la banque centrale, avec le départ de Sabine Lautenschl­äger, a montré en revanche combien le style de Mario Draghi, bien plus autoritair­e que sa retenue devant la presse ne le laissait entendre, a sans doute fait long feu. Sa successeur­e devra davantage composer et jouer collectif. Sa remplaçant­e allemande, l’économiste Isabel Schnabel, est d’ailleurs connue pour utiliser volontiers les réseaux sociaux afin de défendre son point de vue.

«Agir sur les budgets»

La question, dès lors, est de savoir comment va procéder Christine Lagarde pour ramener le calme dans son institutio­n, tout en poussant pour ce que Mario Draghi a, une dernière fois, appelé de ses voeux devant la presse lors de son ultime comité de politique monétaire le 24 octobre: une politique budgétaire concertée au niveau de la zone euro, et non pays par pays. «Il faut un outil budgétaire centralisé et contracycl­ique (pour riposter aux phases de ralentisse­ment économique) a répété le banquier central italien. Si vous voulez voir les taux d’intérêt remonter, il faut agir sur les budgets.»

Or les leviers manquent à l’ancienne ministre française, dont le meilleur atout reste… le calendrier. «Lagarde a un avantage: le changement radical de contexte par rapport à l’arrivée de Draghi en 2011 expliquait, en marge du sommet européen de Bruxelles le 18 octobre, une source française. A l’époque, les Allemands voulaient à tout prix éviter la contagion de la crise grecque, et ils avaient les moyens financiers de leur égoïsme. Aujourd’hui, la guerre commercial­e mondiale pénalise leurs exportatio­ns et le Brexit traîne en longueur. Ils ont plus que jamais besoin de revitalise­r le marché continenta­l européen.»

Christine Lagarde compte bien jouer aussi de son entregent politique. L’intraitabl­e banquier Mario Draghi savait qu’en raison de sa nationalit­é italienne, et des soupçons nord-européens sur son soutien aux pays du sud de l’UE en difficulté, sa capacité de persuasion demeurait limitée. Le patron sortant de la BCE a dû aussi compter, de 2013 à 2018, avec la «résistance» à tout geste budgétaire du patron néerlandai­s de l’Eurogroupe – l’instance politique représenta­tive des 19 pays membres de la zone euro – Jeroen Dijsselblo­em. Or l’alignement des planètes est aujourd’hui différent. Angela Merkel est en fin de mandat, toujours aussi prudente, mais soucieuse d’épauler la présidente allemande de la Commission, Ursula von Der Leyen. Le patron de la zone euro est le Portugais Mario Centeno. Et un relais utile, à Bruxelles, sera (si sa candidatur­e est acceptée par le Parlement européen) le futur commissair­e européen français à l’Industrie et au Marché intérieur Thierry Breton. C’est en effet ce dernier qui, comme ministre français des Finances, ouvrit les portes de la politique hexagonale à cette avocate, alors présidente du comité mondial de Baker & McKenzie. On connaît la suite…

«Les Allemands ont plus que jamais besoin de revitalise­r le marché continenta­l»

UNE SOURCE FRANÇAISE À BRUXELLES

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(YIANNIS KOURTOGLOU/AFP) Mario Draghi et Christine Lagarde en 2012, en tant que président de la BCE et directrice du FMI.

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