Le Temps

Galop d’essai pour chevaux sauvages

Seize monocoques équipés d’ailes portantes et rétractabl­es ont pris le départ de la Transat Jacques-Vabre, dimanche au Havre. Un test avant le Vendée Globe en 2020

- JEAN-LOUIS LE TOUZET (LE MONDE)

En parodiant l’Ancien Testament, la voile, ces trois dernières années, a marché sur l’eau, allant de découverte en découverte, avant de voler. Enfin presque. Tel pourrait être, à grands traits, le résumé de ce sport mécanique alors qu’a été donné le départ, ce dimanche, de la 14e édition de la Transat Jacques-Vabre, course en double en direction de Salvador de Bahia. Trois classes de bateaux vont s’affronter sur 4500 milles pour rejoindre le Brésil: vingtsept Class40, épatants de vitalité, trois Multi50 et surtout 29 Imoca, ces monocoques de 18 mètres qui seront au départ du prochain Vendée Globe, en novembre 2020. Parmi ces derniers, on comptera 16 foilers, bateaux équipés d’ailes portantes et rétractabl­es.

Foil ou pas foil? La question n’est pas restée bien longtemps pendante. Dès lors, la révolution fut en marche. Cela offre le tableau saisissant de ces bateaux protégés par d’imposants pare-battages cubiques garantissa­nt ces foils (comptez 300000 euros pour la paire), parfois en forme de cimeterre. «Ces bateaux sont des chevaux sauvages. Il faudra presque un an pour apprendre à les débourrer», expliquait, il y a quelques jours, le skipper Thomas Ruyant en filant la métaphore équestre. Ruyant fait équipe avec Antoine Koch. Son bateau, Advens-for-Cybersecur­ity, a été mis à l’eau il y a un mois et il cherche toujours des partenaire­s pour le Vendée Globe, l’an prochain.

Un «bateau couvert»

Son monocoque Imoca a été dessiné par Guillaume Verdier, qui a aussi tracé la silhouette d’Apivia, mis à l’eau en août. Voilà ce que disait Charlie Dalin, son skipper, architecte, quelques jours après une sortie en mer en compagnie de son binôme Yann Eliès, dernier vainqueur de la Jacques-Vabre: «Je voulais aussi un bateau couvert [comprenant un roof protecteur], sachant les vitesses élevées.» Pour donner un ordre d’idées: 33-35 noeuds. Les winches sont placés à l’intérieur du cockpit. Pas moyen de voir le pied de mât, puisque pas d’ouverture faciale: «Il faudrait presque un horizon artificiel», dit Dalin en souriant.

La question − à laquelle il sera répondu en 2021 − a été posée par l’architecte franco-argentin Juan Kouyoumdji­an, chargé du dessin de la carène et des foils du nouveau Arkéa-Paprec, qui prendra le départ amputé de son foil bâbord, brisé net au ras de la coque lors du convoyage au large du Havre il y a une semaine: «Est-il humainemen­t possible de voler sous pilote avec 2-3 mètres de houle pendant 70 jours?» Sébastien Simon et son coskipper Vincent Riou sont, eux, pour l’instant plongés dans un brouillard épais et en proie à d’autres questions plus prosaïques: pourquoi cette casse est-elle arrivée alors que les conditions étaient maniables? Lors de la dernière édition, les bateaux neufs avaient cassé ou jeté l’éponge. La règle vaut encore, et il serait surprenant de voir un trio de foilers mis à l’eau récemment constituer le podium.

Il est nécessaire d’apporter un bémol. Charal, skippé par Jérémie Beyou et Christophe­r Pratt, a été mis à l’eau il y a un an. Dessiné par le cabinet VPLP (Marc Van Peteghem et Vincent Lauriot-Prévost) tout comme celui d’Hugo Boss, ce bateau a été fiabilisé. Il se cabrait, l’étrave montant à l’horizon. Toutes proportion­s gardées, sa maîtrise tenait de la conduite en roue arrière à moto. La chose pouvait s’entendre pour des phases d’accélérati­on, mais il s’agit de bateaux conçus pour achever un tour du monde.

Beyou et Pratt, que chacun s’accorde à donner comme favoris eu égard à leur victoire dans le Fastnet, disent se garder «d’être trop enthousias­tes. Les bateaux qui seraient susceptibl­es de bien marcher dans la Transat JacquesVab­re ne sont pas nécessaire­ment ceux qui vont être sur le podium à l’issue du Vendée Globe». Charal, dès que le vent monte à 12-13 noeuds grimpe… à 22-25 noeuds, avec une élasticité bluffante. Le bateau frissonne à ces allures. On n’ose imaginer ce que cela peut donner par 40 noeuds, toile réduite. Si ce bateau est né enragé, le régime autoritair­e auquel il a été soumis l’a assoupli.

Une vie à bord épouvantab­le

Il serait imprudent d’ignorer les bateaux dits de l’ancienne génération auxquels ont été «greffés» des foils, comme PRB ou Initiative­s-Coeur. Cela vaut naturellem­ent pour les foilers de 2015, fiabilisés, comme 11th-Hour-Racing, un bateau lourd mais toutefois «ultra-performant», qui sera sans nul doute poussé jusqu’aux limites physiques des redoutable­s Charlie Enright et Pascal Bidégorry. Ou encore le puissant Maître-Coq, emmené par Yannick Bestaven et Roland

Jourdain, une paire de grands talents.

L’instrument suprême de la vitesse au long cours, le foil donc, se situe encore à égale distance entre le mirage et la brume. Et exige, par les vitesses allant jusqu’à deux fois la vitesse du vent, d’accepter une vie à bord épouvantab­le, sachant que les anciennes génération­s de bateaux étaient déjà privées de tout confort. Se faire bouillir un thé est ainsi une épreuve. Si bien que «gagner, c’est aujourd’hui encore plus accepter l’inacceptab­le», explique Paul Meilhat, coskipper de Samantha Davies à bord d’Initiative­s-Coeur.

Kevin Escoffier, ancien ingénieur au sein du bureau d’études de l’équipe Banque populaire, équipier prisé sur des tours du monde, est le skipper de PRB et Nicolas Lunven, le coskipper. Ce binôme est mis en avant pour son sens marin et sa férocité, couplés à la vélocité d’un bateau pourtant sorti en 2009. Et Escoffier de renchérir: «Avant, le portant était une allure où l’on pouvait se reposer. Aujourd’hui, c’est le près (vent de face).» Pour qui a fait du «près», c’est souvent un très mauvais moment à passer. Engagés sur un bateau de 2007 – presque d’un autre siècle à l’échelle de 2019 –, Jean Le Cam et Nicolas Troussel, cinq victoires du Figaro à eux deux, tenteront à bord de Corum-L’Epargne de remporter le match des «dérives droites». Les premiers sont attendus au Brésil aux environs du 9-11 novembre.

«Avant, le portant était une allure où l’on pouvait se reposer. Aujourd’hui, c’est le près (vent de face)»

KEVIN ESCOFFIER, SKIPPER DE PRB

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(DAMIEN MEYER/AFP) L’Imoca «Hugo Boss» dimanche, à l’heure de se diriger vers la ligne de départ.

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