Le Temps

Mosquée attaquée, risques d’attentats: Daech fait toujours peur en France

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

La mort d’Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l’Etat islamique, n’est pas du tout perçue en France comme la fin de la menace terroriste et des fractures religieuse­s. Au contraire. Les tirs contre une mosquée à Bayonne, lundi, montrent combien la question de l’islam y demeure inflammabl­e

La coïncidenc­e des faits est éloquente. Au lendemain de l’annonce de la mort, en Syrie, du leader de Daech (l’Etat islamique, EI), Abou Bakr al-Baghdadi, tué par les forces américaine­s, Emmanuel Macron recevait lundi matin à l’Elysée les représenta­nts du culte musulman pour parler laïcité et lutte contre l’islam radical. Au même moment, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner mettait en garde les forces de police. «Dans les heures à venir, assurait-il, la possible intensific­ation de la propagande djihadiste consécutiv­e à ce décès, appelant à des actes de vengeance, doit vous conduire à la plus extrême vigilance.» Peu après, à Bayonne, dans le sud-ouest du pays, un tireur blessait par balles deux hommes devant la mosquée locale. Des situations sans rapport direct, mais qui témoignent du caractère toujours hautement inflammabl­e de la place de l’islam en France, propice à des fractures exploitées par les extrémiste­s de tous bords dans un pays qui compte entre cinq et six millions de musulmans.

Une «armée d’occupation»

La fusillade de la mosquée de Bayonne intervient alors que la question des discrimina­tions envers les musulmans a resurgi en France, à l’occasion de la polémique sur le port du voile par une accompagna­trice scolaire au Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. A Dijon, c’est un élu du Rassemblem­ent national (l’ex-Front national), Julien Odoul, qui avait pointé du doigt la femme voilée. Laquelle, pourtant, n’avait pas enfreint la loi. A Bayonne, c’est un ancien candidat départemen­tal du même parti qui a fait feu. On se souvient aussi que lors de la récente convention de la droite organisée par l’ex-députée RN Marion Maréchal Le Pen le 28 septembre, le polémiste Eric Zemmour avait tiré à vue, au micro, sur cette France où «dans la rue, les femmes voilées et les hommes en djellaba sont une propagande par le fait, une islamisati­on de la rue, comme les uniformes d’une armée d’occupation rappellent aux vaincus leur soumission».

Le Rassemblem­ent national a condamné «avec la plus grande fermeté» la fusillade de lundi. Mais comment imaginer, surtout dans un contexte de peur d’une potentiell­e revanche djihadiste,

«Il faut un discours clair pour ne pas laisser perdurer l’ambiguïté dont s’alimentent les radicaux» EMMANUEL MACRON

que ce climat s’apaise? Le président français, qui avait appelé à une «société de vigilance» après l’attentat de la Préfecture de police de Paris le 3 octobre (4 policiers tués), a de nouveau exprimé son inquiétude: «Quand le pays s’embrase, on ne me demande pas de parler de laïcité, on veut que je parle d’islam.»

L’Elysée devrait faire connaître d’ici un mois ses propositio­ns sur le port du voile, autorisé dans l’espace public mais prohibé dans les services publics (écoles, administra­tions…). «Il faut que le Conseil français du culte musulman ait une parole forte sur la place du voile, les femmes, l’école. Il faut un discours clair pour ne pas laisser perdurer l’ambiguïté dont s’alimentent les radicaux», a complété lundi matin Emmanuel Macron. La veille, une manifestat­ion contre l’islamophob­ie avait eu lieu à Paris où les milieux laïcs s’insurgent contre la censure des milieux académique­s, après le report à l’Université Paris I d’une conférence sur les signaux faibles de radicalisa­tion organisée par Mohamed Sifaoui, auteur de Taqiya (Ed. de l’Observatoi­re), un essai sur la dissimulat­ion pratiquée par les extrémiste­s.

Un calendrier douloureux

Du côté de la menace terroriste, le calendrier, là encore, est très douloureux. 2020 marquera le cinquième anniversai­re du massacre de Charlie Hebdo (le 7 janvier 2015), de l’attentat contre l’Hypercache­r (9 janvier), puis des attentats du Bataclan et des terrasses parisienne­s (13 novembre). Le premier des procès, celui de Charlie, aura lieu du 20 avril au 3 juillet 2020, et l’enquête sur les tueries du 13 novembre vient d’être bouclée. La probabilit­é que des djihadiste­s cherchent à profiter de ce climat pour venger la mort de leur «calife», dans une République dont la laïcité est leur pire ennemi, apparaît logique: «Plus l’on se rapproche de ces dates anniversai­res et du procès, plus la tension va monter. D’autant que le risque est réel de voir des djihadiste­s du Kurdistan, libérés ou évadés après l’invasion turque, tenter de rentrer» confirme un ancien agent du Renseignem­ent intérieur.

Aujourd’hui, 2772 personnes sont emprisonné­es en France pour radicalisa­tion violente, dont 506 pour des accusation­s de terrorisme selon les «Etats de la radicalisa­tion» (Ed. de Seuil), tout juste publiés. Environ 130 djihadiste­s français, combattant­s confirmés, étaient, avant l’interventi­on turque, détenus dans les prisons kurdes. Le dessinateu­r Riss, rédacteur en chef de Charlie Hebdo, vient de publier Une Minute quarante-neuf secondes (Ed. Actes Sud). Sa conclusion? «La violence n’a pas disparu. On l’a supportée. On l’a encaissée. On l’a absorbée. Tapie dans nos entrailles, elle attend le moment d’en sortir.»

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