Un «traitement de texte» inédit pour modifier les génomes
Une équipe américaine a développé une macromolécule potentiellement capable de mieux cibler des maladies génétiques tout en réduisant des altérations accidentelles
La génétique n’en finit pas de raffiner ses outils d’édition du génome, capables d’inactiver des gènes, de les remplacer ou de les réparer en modifiant la suite des «lettres» – les bases A, T, C et G – qui portent l’information contenue dans l’ADN. La révolution qu’a représentée Crispr-Cas9, un système découvert en 2012 permettant de réaliser ces opérations de façon facile et peu onéreuse, a pu laisser penser que la maîtrise totale des gènes était advenue.
En réalité, la technique est encore très imparfaite: la brisure de l’ADN et les mécanismes de réparation sur lesquels elle repose peuvent manquer de précision et engendrer des effets indésirables, comme des insertions et des pertes de matériel génétique sur le site ciblé, ou des modifications hors cible. Et elle ne fonctionne pas dans tous les types cellulaires. Au total, bien peu des quelque 75000 mutations génétiques connues impliquées dans des maladies peuvent en pratique être corrigées.
«Prime editing»
Un article publié dans Nature, le 21 octobre, présente une technique potentiellement capable de réparer 89% de ces variants génétiques délétères. Une équipe dirigée par David Liu (Broad Institute, à Cambridge, Massachusetts) y décrit un nouvel outil, baptisé «prime editing». L’équipe de David Liu avait déjà proposé en 2016 des éditeurs de bases, pouvant induire des mutations ponctuelles – des transitions remplaçant C par T ou G par A, et inversement – sans briser les deux brins constituant la double hélice d’ADN. Mais ils restaient incapables d’effectuer l’ensemble des 12 permutations possibles, comme convertir une paire de bases T-A en A-T, une opération qui serait nécessaire pour corriger une des causes les plus fréquentes de la drépanocytose, une pathologie provoquant la dégradation ou la déformation des globules rouges.
Le prime editor mis au point par Liu et son postdoctorant Andrew Anzalone surmonte ces limitations et fait plus encore. Les chercheurs ont combiné une enzyme, Cas9, avec une seconde enzyme appelée «transcriptase inverse». La machine moléculaire qui en résulte, quand elle est couplée à un guide fait d’ARN (une molécule complémentaire de l’ADN ciblé), peut à la fois rechercher un site spécifique sur l’ADN et fabriquer la nouvelle information génétique qui prendra la place de la séquence visée. Et tout cela sans pratiquer une cassure des deux brins de la molécule d’ADN, ce qui réduit grandement les risques de réparation fautive.
«On présente souvent Crispr-Cas9 comme des ciseaux capables de désactiver des gènes ou d’en changer des gros morceaux. Les éditeurs de bases sont plus comparés à des crayons capables de réécrire une lettre à la fois, a rappelé David Liu lors d’une conférence de presse téléphonique, jeudi 17 octobre. Les prime editors sont plus polyvalents. Je les vois comme un traitement de texte. Mais chaque système a ses avantages et ses inconvénients, et je pense qu’ils auront des applications complémentaires en recherche fondamentale, en médecine ou en agronomie.»
Ce nouvel outil qui «recherche et remplace» présente des avantages notables. Il a été testé avec succès, aboutissant à 175 modifications dans diverses lignées cellulaires humaines. La permutation, évoquée plus haut, concernant la drépanocytose a correctement fonctionné. En fait, les prime editors peuvent réaliser les 12 permutations possibles. David Liu et ses collègues ont aussi éliminé une duplication de quatre bases, responsable de la maladie de Tay-Sachs – une pathologie détruisant les cellules nerveuses du cerveau et de la moelle épinière. Ils sont parvenus à insérer trois bases nécessaires pour corriger la forme la plus fréquente de la mucoviscidose et à introduire un gène mutant qui confère une résistance aux maladies à prions chez l’homme et la souris.
Ces modifications ont été réalisées avec un taux de réussite allant de 20% à 50% – souvent plus élevé qu’avec les autres techniques d’édition du génome –, tout en réduisant sensiblement les modifications indésirables et les mutations hors cible, même si des vérifications sur l’ensemble du génome n’ont pas encore été réalisées.
Technologie en libre accès
«L’efficacité dans l’édition du génome et la polyvalence de l’outil sont très impressionnantes et remarquables», commente Gaétan Burgio (Australian National University, Canberra). Sa seule réserve concerne la très grande taille de cette machine moléculaire, qui risque de compliquer sa diffusion au coeur des cellules des tissus ciblés: «Par exemple, cela risque de boucher les aiguilles que l’on utilise pour introduire ce type de macromolécule dans les cellules embryonnaires.»
«La livraison de ces molécules dans les cellules humaines reste un défi, convient David Liu. On espère y arriver chez les animaux dans un avenir proche.» Il rappelle que ses prime editors seront librement accessibles, à travers la plateforme Addgene, aux chercheurs qui souhaiteront les utiliser, et s’attend à ce que des milliers de chercheurs les testent «dans les prochains mois».
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