Un monde de sons à Onze+
On est toujours assez surpris de constater à quel point le festival JazzOnze+ rejoue volontiers son titre chaque année. Le directeur, Gilles Dupuis, s’entoure d’une bande de têtes chercheuses et ses propres lubies (inviter chaque année les meilleurs batteurs du monde, cette année, Mark Giuliana) sont amplifiées par une ambition d’aller voir le jazz là où on ne l’attend pas forcément.
Festival plus itinérant que jamais, entre les Docks, la Datcha, le BCV Concert Hall et bien entendu le Casino de Montbenon qui en reste l’épicentre, Onze+ est un poste d’observation sur les tendances installées (le retour des psychédéliques du son turc, Altin Gün), mais aussi des nouvelles explorations (dont ce groupe de disco italienne, Nu Guinea Live Band, qui interroge lui aussi l’héritage des années 1970 par l’outrance).
Lyrisme âpre
On ne boudera pas la leçon des maîtres. Charles Lloyd dont on dit que les derniers concerts révèlent encore un pas en avant dans l’expressivité – il est notamment accompagné par deux patrons indiscutables, le pianiste Gerald Clayton et le batteur Eric Harland. Le merveilleux trio de Dave
Holland avec Zakir Hussain et Chris Potter, qui explore les cycles longs et un lyrisme âpre. Mais aussi le mythique Mingus Big Band, qu’on entend depuis presque trente ans, tous les lundis soir, à Manhattan, retravailler l’héritage du contrebassiste décédé en 1979.
Deux très belles voix sont également conviées à la fête: Youn Sun Nah et Camille Bertault dont on n’a pas souvent entendu le timbre salé de ce côté-ci du Rhône. Comme chaque année, Onze+ ne boude pas la scène helvétique, en particulier alémanique. On se réjouit de goûter les délices libertaires des Zurichois de District Five Quartet. Mais aussi le projet qui dresse des ponts entre Bâle et Ramallah, Kallemi.
On avait entendu il y a quelques mois l’ensemble Red Sun du violoniste veveysan Baiju Bhatt. Il avait invité pour étoffer ses forces un guitariste vétéran, le Français Nguyên Lê. La puissance de feu de cet orchestre qui ne cache pas sa joie de jouer laissait aussi aux introspections l’espace pour se déployer. Si le jazz garde cette palette vaste, cette curiosité, alors il n’a pas fini de nous étonner.
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