Les sangliers utilisent des outils pour construire leur habitat
ÉTHOLOGIE Certains sangliers s’aident d’un morceau de bois pour creuser le sol afin de construire leur nid. Les porcins rejoignent le club très sélect des animaux capables d’utiliser des outils
La découverte a été fortuite. Meredith Root-Bernstein, biologiste à l’Université de ParisSaclay, se promenait à la ménagerie du Jardin des plantes de Paris lorsqu’elle a observé pour la première fois un sanglier des Visayas prendre un morceau d’écorce avec sa bouche et l’utiliser pour creuser le sol.
«J’ai tout de suite été très enthousiasmée par cette découverte et j’ai voulu en savoir plus, mais je n’ai trouvé aucune étude parlant d’outils chez les porcins. J’ai alors réalisé que ce que j’avais vu était très spécial», ajoute-t-elle. Son étude, récemment publiée dans la revue Mammalian Biology, renouvelle notre regard sur les porcins et leurs capacités.
«Les cochons domestiques sont capables d’apprendre rapidement où se cache de la nourriture dans un labyrinthe» MEREDITH ROOT-BERNSTEIN, BIOLOGISTE
Meredith Root-Bernstein a d’abord contacté l’équipe de recherche de la ménagerie pour organiser des séances d’observation de ces sangliers originaires des Philippines, qui sont de proches cousins des cochons domestiques et des sangliers de nos régions. Mais cela ne donne rien. Même lorsque les chercheurs cachent de la nourriture au milieu des feuilles mortes, afin de pousser ces animaux à utiliser des outils pour fouiller le sol, ils ignorent les morceaux de bois à leur disposition.
Les scientifiques émettent alors une nouvelle hypothèse: et si l’utilisation d’outil était liée à la construction d’un nid? Tous les six mois, les sangliers préparent en effet un trou recouvert de feuilles pour accueillir leur progéniture. Le printemps suivant leur donnera raison. Trois des quatre sangliers du zoo sont vus à plusieurs reprises en train d’utiliser des morceaux de bois pour creuser le sol.
Un contexte particulier: la construction du nid
«Un point fort de cette étude est d’avoir réussi à montrer que l’utilisation des outils est liée à un contexte en particulier, celui de la construction du nid», commente Thibaud Gruber, primatologue à l’Université de Genève et spécialiste de l’utilisation d’outils chez les chimpanzés.
La capacité à utiliser des outils est intéressante d’un point de vue scientifique, car elle renseigne non seulement sur les capacités mentales des animaux mais aussi sur l’évolution de l’espèce au sein du règne animal. Traditionnellement, on pensait que cette compétence était réservée à l’être humain, on l’a ensuite élargie, d’abord aux grands singes et petit à petit à bien d’autres espèces qui rivalisent d’ingéniosité dans ce domaine.
Les grands dauphins utilisent par exemple une éponge pour fouiller le sol marin et y déloger des proies sans se blesser. Les corbeaux calédoniens taillent des brindilles en forme de crochets pour harponner les insectes cachés. Tandis que les loutres de mer utilisent des pierres pour casser les coquillages dont elles se régalent.
«Que les porcins soient aussi capables d’utiliser des outils n’est pas étonnant», souligne Meredith Root-Bernstein. Car cette famille de mammifères, incluant des espèces comme les sangliers sauvages, les phacochères ou les cochons domestiques (les porcs), est réputée pour son intelligence. Ses représentants les mieux étudiés, les cochons domestiques, sont par exemple capables d’apprendre rapidement où se cache de la nourriture dans un labyrinthe. Ils peuvent aussi comparer les quantités cachées à différents endroits du labyrinthe pour privilégier les meilleures cachettes lors de leurs prochaines visites.
Des observations réalisées en zoo
Reste la question de la captivité: c’est dans le cadre d’un zoo que des sangliers des Visayas ont utilisé des outils. Le font-ils aussi à l’état sauvage? Pour Thibaud Gruber, l’étude montre en tout cas que ces animaux en sont capables. «Mais cela nécessiterait maintenant des études sur le terrain pour voir si l’on retrouve ces comportements», ajoute-t-il.
Pour Meredith Root-Bernstein, «il est très probable que les sangliers des Visayas sauvages et les autres porcidés utilisent des outils en milieu naturel. Cela n’a peut-être pas encore été observé parce que les opportunités de les étudier sont rares, en particulier pour des espèces en danger d’extinction comme le sanglier des Visayas.» Cette étude pourrait en tout cas nous faire regarder d’un autre oeil les sangliers qui peuplent nos régions… ▅