«Nims», le conquérant de l’impossible
HIMALAYA En gravissant le Shishapangma, cet ancien soldat des troupes gurkhas a réussi son projet de gravir les quatorze 8000 en moins de sept mois. Un défi relevé qui met la lumière sur les Népalais, longtemps restés dans l’ombre des exploits occidentaux
«Mission accomplie!» C’est le message posté sur Facebook par Nirmal Purja depuis la cime du Shishapangma, le dernier sommet qu’il lui restait à conquérir pour réussir son incroyable pari: gravir les quatorze 8000 de l’Himalaya en moins de sept mois. Un record historique qui propulse à 39 ans le grimpeur népalais au panthéon de l’alpinisme.
Le défi paraissait surhumain, logistiquement impossible et économiquement peu viable. D’ailleurs rares ont été ceux qui y croyaient au début. Et pourtant. Mardi à 8h58, heure locale, le Népalais Nirmal Purja, accompagné par une partie de sa fidèle équipe de sherpas, se tenait au sommet du Shishapangma (8027 mètres) en Chine, quatorzième 8000 d’une saison débutée, au mois d’avril, il y a six mois et six jours. Par cet exploit de vitesse et de logistique, il prouve ainsi au nez et à la barbe du monde entier ce que les Népalais sont capables d’accomplir dans leurs montagnes.
«Beaucoup d’alpinistes n’auraient pas pu atteindre le sommet qu’ils visaient sans le groupe de Nims en éclaireur» SOPHIE LAVAUD, HIMALAYISTE SUISSE
Cette réussite laisse les spécialistes abasourdis. Montagnes Magazines, qui avait commenté le projet avec sarcasmes à ses débuts, fait aujourd’hui son mea culpa: «Cette aventure marque probablement une rupture dans la pratique, écrit le journaliste Thomas Venin. En 14 tentatives, le Népalais n’a jamais connu l’échec. Nims [son surnom] vient de prouver qu’en ajoutant la vitesse à la tactique et à la technique, le risque d’échec est désormais proche de zéro.»
Né il y a 36 ans à Dana, un village situé à 300 km à l’ouest de Katmandou, encore quasi inconnu il y a 6 mois, Nirmal Purja sort pour ainsi dire de nulle part. Alors que les expéditions prenaient forme au printemps et que les observateurs y allaient de leurs commentaires concernant les intentions de chacun sur les monts himalayens, cet ancien gurkha, soldat d’élite népalais au service de la reine d’Angleterre, a fait son apparition avec un projet saugrenu: gravir les quatorze 8000 en moins de sept mois.
Evidemment, cette volonté en a fait rire plus d’un. En 2013, il a fallu 7 ans, 10 mois et 6 jours au Coréen Kim Chang-ho pour enchaîner les 14 plus hauts sommets du monde et détenir ainsi le record de vitesse qui à l’époque ne sonnait apparemment pas comme un objectif à atteindre. Mais, malgré les railleries, Nirmal Purja est parti. Et aux grinçants convaincus qu’une telle entreprise était tout bonnement impossible, il répondait d’un large sourire orné de dents blanches surmonté d’une moustache soigneusement taillée, les invitant à se référer au nom qu’il a lui même donné à son projet: «Project Possible». «Avec la volonté et un esprit positif, les choses deviennent possibles», affirme-t-il.
Une équipe de choc
Confiant dans ses aptitudes mentales et physiques renforcées par ses années passées au sein des troupes gurkhas, celui que l’on surnomme Nims Dai (frère Nims) a choisi de commencer son parcours avec l’Annapurna (8091 m). Le 23 avril, il atteint sa cime à la tête d’une équipe de sherpas chargée de poser les cordes fixes destinées aux membres des expéditions.
Juste derrière lui lors de l’arrivée au sommet, l’himalayiste suisse Sophie Lavaud se dit reconnaissante envers Nirmal Purja et son équipe pour la trace qu’ils ont effectuée dans la neige profonde lors de l’ascension. «Beaucoup d’alpinistes cette année n’auraient pas pu atteindre le sommet qu’ils visaient sans le groupe de Nims en éclaireur, moi la première. Déjà à l’Annapurna, ils étaient extrêmement motivés et ont fourni durant toute la saison un travail extraordinaire», commente-t-elle.
L’itinéraire himalayen du «Project Possible» a été défini en fonction des régimes météorologiques. Ainsi, la saison s’est partagée en trois phases. D’abord profiter du printemps au Népal. Puis fuir la mousson en migrant durant l’été dans le Karakoram au Pakistan. Et finalement, revenir entre le
Népal et la Chine pour gravir les derniers de la liste.
Les preuves de mai
Les mois se sont donc égrainés à une vitesse étourdissante. En mai, l’ancien Gurkha a tout de suite annoncé la couleur en gravissant cinq 8000 (Dhaulagiri, Kangchenjunga, Everest, Lhotse et Makalu) en l’espace de douze jours. Il atteint l’Everest le 22 mai et poursuit sur le Lhotse dans la foulée la même journée. La photo qu’il publie illustrant une foule d’alpinistes agglutinés sur l’arête menant au sommet du Toit du Monde alors qu’il en redescend, fait ce jour-là le tour de la planète. Elle contribue à sa visibilité, mais ne facilite pas pour autant sa recherche de sponsors pour poursuivre ses plans financés surtout grâce à une campagne de crowdfunding.
Mais alors qu’il retarde la suite de ses pérégrinations prévues au Pakistan pour trouver des fonds, Nims reçoit le soutien de certains alpinistes de renom. Autant l’Américain Conrad Anker que le Tyrolien du Sud Reinhold Messner affichent leur enthousiasme face à ce projet qu’ils estiment désormais réalisable. De plus, Nims semble faire preuve d’une personnalité attachante. Il n’hésite d’ailleurs pas à secourir des grimpeurs en péril sur certaines montagnes. Et même si sa résistance à l’effort, aux tempêtes et froids extrêmes fait de lui une machine, le partage de ses états d’âme sur les réseaux sociaux révèle sa part de sensibilité.
Une logistique considérable
Le support de ses pairs ajouté à une force mentale et physique exceptionnelle n’ont pas été les seuls ingrédients à la réussite. Car pour atteindre le sommet des cinq 8000 pakistanais (Nanga Parbat, Gasherbrum I et II, K2 et Broad Peak) dont certains avaient été qualifiés d’inatteignables cette année, et pour enchaîner sur le Cho Oyu, le Manaslu puis le Shishapangma, un considérable travail logistique a dû être accompli en coulisses.
Les critiques ne se sont d’ailleurs pas retenus de mentionner l’usage à la fois d’oxygène lors des ascensions et de l’hélicoptère entre les camps de base. Ils se sont tus, toutefois, au fur et à mesure que les sommets tombaient sous les pas du Népalais. Aujourd’hui, certains apparentent ce style à «une véritable boucherie» tout en avouant être impressionnés par les enchaînements de sommets exécutés. D’autres redoutent qu’un tel exploit incite à réduire un art à sa seule dimension sportive.
Mais aux yeux de Sophie Lavaud, cette entreprise avait un autre objectif: celui d’orienter les projecteurs sur les Népalais, et les Sherpas en particulier, qui ont toujours escaladé les montagnes de leur pays dans l’ombre d’un Occidental. Et celui de prouver l’efficacité des agences locales. Une façon de rendre à César ce qui appartient à César. ▅