Elections anticipées au Royaume-Uni
Après de longs mois de tergiversations, les travaillistes ont finalement approuvé la tenue d’élections. Le scrutin, prévu à la mi-décembre, s’annonce comme un mini-référendum sur le Brexit
Rien n’est jamais simple au pays du Brexit. Mais, malgré l’ambiance délétère et les jeux d’amendements et de contre-amendements toute la journée de mardi, les députés britanniques ont enfin pris une décision. La Chambre des communes va être dissolue et des élections auront lieu à la mi-décembre. Seule la date exacte – 9 ou 12 décembre – restait à déterminer à l’heure où Le Temps bouclait son édition. Il n’y a pas eu d’élections législatives au Royaume-Uni au mois de décembre depuis 1910.
Après des mois d’atermoiements, d’hésitations et de débats amers, les travaillistes ont finalement cédé. «Je suis prêt, nous sommes prêts, nous voulons montrer à ce pays qu’il existe une alternative», a justifié Jeremy Corbyn, le leader de l’opposition. Après un an de blocage parlementaire total, les cartes vont être rebattues, pour un scrutin qui risque fort de ressembler à un mini-référendum sur le Brexit.
Un théâtre d’ombres
Dans ce curieux théâtre d’ombres qu’est devenue la Chambre des communes, où plus personne ne dit vraiment ce qu’il pense, rien n’est jamais clair. Les députés travaillistes disaient depuis des mois vouloir des élections mais, en privé, beaucoup étaient contre, craignant le bain de sang électoral. Ils avaient trouvé une parade: tant que le pays faisait face au risque d’un «no deal», une sortie de l’Union européenne sans accord, ils refuseraient une élection.
Cet argument n’existe plus. L’UE vient d’accorder un délai supplémentaire de trois mois, jusqu’au 31 janvier 2020. «Nous avons maintenant la confirmation que le «no deal» est exclu et nous allons mener la plus grande campagne jamais conduite par ce parti, complètement unis et déterminés», assure Jeremy Corbyn.
En réalité, les grognements dans ses rangs sont très nombreux. Les députés travaillistes sont terrifiés à l’idée d’organiser des élections alors que les sondages leur donnent autour de 25%, une dizaine de points de retard sur les conservateurs. Les optimistes rappellent cependant qu’en juin 2017, lors des dernières législatives, les travaillistes étaient déjà annoncés perdants, avec 20 points de retard dans les sondages. Ils avaient finalement limité la défaite, privant les conservateurs d’une majorité absolue.
Les travaillistes ne sont pas les seuls à tenir un double langage. Boris Johnson assure qu’il organise des élections parce que le parlement bloque son accord sur le Brexit. La semaine dernière, il avait pourtant réussi l’impossible: non seulement il avait obtenu un compromis inattendu avec l’UE, mais il avait aussi dégagé une majorité de trente voix aux Communes. Dans un deuxième temps, les députés s’étaient simplement insurgés contre le peu de temps que le premier ministre britannique leur avait été donné pour débattre la loi, avec seulement trois jours de discussions. Ils avaient donc rejeté le calendrier parlementaire qui leur était proposé.
«Si [Boris Johnson] avait accepté de donner quelques jours de plus, nous serions déjà bien avancés pour quitter l’UE à la mi-novembre», regrette Ken Clarke, un député conservateur.
La faute aux parlementaires
Dès lors, pourquoi Boris Johnson a-t-il choisi de mettre son texte de côté, préférant affronter les urnes? «Lui et son conseiller Dominic Cummings veulent mener une élection sur le thème du peuple contre le parlement», explique Ken Clarke. En clair, Boris Johnson va utiliser son argument favori: il va blâmer les parlementaires pour le blocage et demander aux électeurs de lui donner une majorité pour faire passer le Brexit. «Tout le pays peut voir ce qu’il se passe, attaquait-il encore ce mardi. Est-ce que [les travaillistes] veulent le Brexit? Non. Tout ce qu’ils veulent, c’est procrastiner.»
Cette façon de suspendre pour l’instant son accord, tout en promettant de le passer s’il obtient la majorité, permet à Boris Johnson de concentrer la campagne électorale autour du Brexit. Il estime que les travaillistes sont très divisés sur le sujet, et que beaucoup de leurs électeurs pourraient se tourner vers les libéraux-démocrates (qui veulent annuler le Brexit).
Inversement, le risque pour lui aurait été de ratifier son accord, puis de devoir faire campagne auprès d’électeurs qui n’auront qu’une envie: parler d’autre chose. Boris Johnson, qui a écrit une biographie de Winston Churchill, sait pertinemment que les Britanniques ont mis à la porte leur leader de la Seconde Guerre mondiale dès la fin du conflit, sans montrer le moindre signe de gratitude. A moins que ces calculs ne s’avèrent trop sophistiqués. Les Britanniques ont six semaines pour trancher.
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