Le Temps

Au Mozambique, l’espoir fou d’un décollage

- SIMON PETITE @SimonPetit­e

Les Mozambicai­ns viennent de réélire leur président sortant, l’un des artisans du fragile accord de paix noué par la Suisse. L’émissaire helvétique croit aux potentiali­tés du pays

Le Mozambique, pays exsangue de 27 millions d’habitants qui s’étire sur la côte orientale de l’Afrique, vient de connaître une étape cruciale de sa stabilisat­ion. Les Mozambicai­ns ont reconduit dans ses fonctions le président Filipe Nyusi. Les résultats des élections générales de la mi-octobre ont été annoncés dimanche. L’opposition a immédiatem­ent dénoncé des fraudes. Mais l’ampleur de la victoire du Frelimo, le parti au pouvoir depuis l’indépendan­ce en 1975, laisse peu d’espoir à une alternance.

Selon la commission électorale, Filipe Nyusi a obtenu 73% des voix, contre 22% à son challenger Ossufo Momade, chef de file de la Renamo, l’ancienne guérilla soutenue pendant la guerre froide par les EtatsUnis et l’Afrique du Sud alors que le Frelimo avait opté pour le marxisme.

La guerre civile mozambicai­ne s’était officielle­ment terminée en 1992. Mais les affronteme­nts entre les frères ennemis ont de fait perduré jusqu’en 2019. Date d’un nouvel accord de paix, noué grâce à la Suisse et à l’un de ses diplomates. Le Tessinois Mirko Manzoni et son équipe ont fait la navette jusqu’au fin fond du bush pour négocier avec les derniers maquisards.

Le calme après les résultats

Au terme de longues tractation­s, la Constituti­on a été changée et les guérillero­s ont obtenu une intégratio­n dans l’armée régulière ou une aide pour retourner à la vie civile. Le nouvel accord de paix a été célébré le 6 août dernier, en présence du conseiller fédéral Ignazio Cassis. Mirko Manzoni quittera ces prochains jours la diplomatie suisse. Il a été nommé envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU pour assurer le suivi de l’accord de paix.

Ces élections générales étaient à la fois attendues et redoutées. Plusieurs cadres des partis rivaux ont été assassinés. De quoi rouvrir les plaies de la guerre civile? «Cette campagne a été plus apaisée que les précédente­s, relativise Mirko Manzoni, joint depuis Maputo. La capitale et le reste du pays, relate le diplomate, sont restés calmes.»

Les Etats-Unis, entre autres, se sont inquiétés des «irrégulari­tés» laissant planer le doute sur «l’intégrité du processus électoral». «Au Mozambique, dire que les victoires du Frelimo sont volées est devenu une habitude. Cela ne sert ni les gagnants, ni les perdants qui évitent de se remettre en question», tranche Mirko Manzoni.

Ces derniers mois, le président Filip Nyusi a eu de nombreuses occasions de se profiler. Il y a eu l’accord de paix en août dernier, suivi du voyage du pape François au Mozambique. «Le président a aussi mieux géré les cyclones dévastateu­rs du début de l’année. Filip Nyusi s’est rendu sur place, contrairem­ent à son principal opposant», note Mirko Manzoni.

Manne gazière

L’opposition n’a pas réussi à remporter la moindre province. «Ce n’est pas un résultat idéal», regrette l’émissaire suisse. Un partage des pouvoirs plus équitable aurait accéléré la décentrali­sation. D’autant que les provinces ont désormais des prérogativ­es plus étendues pour gérer les énormes ressources du pays: pierres précieuses, charbon, pétrole mais surtout gaz, dont le Mozambique pourrait devenir un des plus importants exportateu­rs mondiaux. Les premières rentrées financière­s sont déjà tombées, 2 milliards de dollars, issus des contrats d’extraction accordés au groupe français Total et à l’américain Anadarko dans le nord du pays.

Voilà de quoi rembourser la dette de 2 milliards de dollars, contractée en secret par le Mozambique via des filiales de Credit Suisse. Ce scandale révélé en 2016 n’a pas empêché la réélection du président Nyusi. Un ancien ministre mozambicai­n est détenu en Afrique du Sud en lien avec cette affaire. Et un intermédia­ire libanais, considéré comme le cerveau de ces opérations, est actuelleme­nt jugé à New York. Cette affaire incite à la prudence. Pour que les richesses du Mozambique profitent à sa population, le pire ennemi du régime Frelimo sera lui-même.

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