«Il y a en Suisse des gens proches de l’EI»
A la suite de cette opération policière, Jean-Paul Rouiller, responsable du Centre d’analyse du terrorisme au GCSP à Genève, livre son analyse
La semaine dernière, le Ministère public de la Confédération déposait un acte d’accusation contre deux personnes pour leurs liens présumés avec l’Etat islamique. Si l’opération d’envergure lancée aujourd’hui par la police fédérale y est liée, que faut-il en déduire? Si on accrédite la thèse dʼun lien, la logique qui prévaudrait dans les perquisitions et arrestations du jour serait, entre autres, celle de la préservation des preuves. Il sʼagirait alors de ratisser large autour des deux accusés présumés.
Ce ne sont donc pas forcément des réseaux actifs qui ont conduit à cette opération policière? Non, pas nécessairement, car le temps judiciaire n’est pas le temps de lʼactualité. Une procédure ouverte en 20152016 peut trouver son terme aujourd’hui. On peut imaginer des actes d’entraide judiciaire envers des pays voisins, qui prennent du temps.
«Ce coup de filet pourrait apporter des réponses sur les réseaux qui se sont articulés autour de V. L. et d’autres personnes en Suisse»
Mais la police a arrêté des mineurs âgés entre 15 et 17 ans, ils n’ont quand même pas embrassé l’Etat islamique au berceau! Certes, mais on ne sait rien de ces mineurs. Lorsqu’on déclenche une opération, les mineurs qui se trouvent au contact des personnes et de lʼenvironnement ciblés peuvent être préventivement arrêtés, pour être rapidement relâchés si aucun soupçon fondé concernant leur participation nʼapparaît.
L’une de ces arrestations concernerait un jeune homme, V. L., déjà condamné et qui se trouvait en période probatoire. La preuve qu’une fois la peine purgée, les individus radicalisés le restent? Il faut être prudent avant d’affirmer cela. En effet, cet homme a purgé une première peine, qui concernait son départ en Syrie avec sa soeur. Il fait maintenant probablement face à d’autres accusations, probablement liées au recrutement ou aux réseaux constitués par lui en Suisse à l’époque de son départ. Ce coup de filet pourrait apporter des réponses sur les réseaux qui se sont articulés autour de lui et d’autres personnes en Suisse. Idem pour l’autre homme poursuivi par le MPC, un ressortissant suisso-italien converti (S. V.), surnommé l’émir de Winthertour. La justice devra déterminer s’il a été, lui aussi, le moteur de la radicalisation et du départ de plusieurs personnes vers Daech. On sait qu’il recrutait dans un club d’arts martiaux. On sait aussi qu’il a joué un rôle actif dans le départ d’un autre binational italo-suisse auquel les autorités ont, par la suite, tenté sans succès de retirer la nationalité. Là aussi, les éléments contenus dans les dossiers judiciaires permettront dʼéclairer son rôle de manière précise.
La nouvelle loi sur le renseignement, adoptée par référendum en 2016, permet-elle une surveillance accrue et, partant, des interventions policières comme celles d’aujourd’hui? Les deux types dʼactions ne sont pas nécessairement liés. La LRens est un outil préventif, alors qu’aujourd’hui nous avons affaire à une opération de police judiciaire suite à des enquêtes ouvertes. Toutefois, on peut raisonnablement envisager que le Service de renseignement de la Confédération (SRC) ait aussi contribué à ce que cette opération puisse se réaliser.
Le SRC recensait, en mai, 66 personnes à risques pour la sécurité du pays, en raison de leurs activités ou motivations terroristes. Est-ce que le lâchage des Kurdes par les Américains et la mort du calife de Daech, Al-Baghdadi, augmente ce risque? Il y a en Suisse des gens proches de l’Etat islamique qui doivent avoir des proches détenus en Syrie. Le risque existe qu’ils réagissent par solidarité vis-à-vis de leurs amis en captivité, ou qu’ils veuillent se venger de la mort du chef de l’Etat islamique. Mais ce risque est de faible ampleur, comparé à celui que connaît la France, par exemple.
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