A Genève, le parcours d’un condamné soumis à un placement impossible
Le détenu devait rejoindre le centre éducatif de Pramont, en Valais, mais cette mesure n’a jamais pu être mise en oeuvre. La défense dénonce les défaillances de l’Etat dans la prise en charge des jeunes adultes ayant commis une infraction entre 18 et 25 ans et dont le comportement nécessite un encadrement socio-éducatif
«Si votre but est de me rendre complètement taré, gardez-moi à Curabilis.» Chris*, détenu congolais au parcours de vie chaotique, n’y va pas par quatre chemins pour décrire sa descente aux enfers au sein de l’établissement destiné aux délinquants souffrant de troubles mentaux. Condamné initialement à 2 ans de prison, peine suspendue au profit d’un placement pour jeunes adultes, il n’a jamais pu intégrer le centre éducatif de Pramont. Depuis lors, sa révolte lui vaut une mesure plus liberticide. «Cela fait cinq ans que je suis en prison. Je vais de mal en pis. Ça crie au fond de moi», expliquait-il ce mardi aux juges genevois chargés de statuer sur son avenir carcéral.
Né à Brazzaville, forcé à l’exil en raison des conflits qui ravagent la région, Chris est envoyé chez sa grand-mère à Genève. Il arrive en 2002, présente rapidement des troubles du comportement et de l’apprentissage. L’adolescent, placé dans des foyers en raison de difficultés relationnelles avec sa famille, va multiplier les fugues et les séjours en psychiatrie. En rupture scolaire, il commence à abuser des drogues. Cannabis, LSD, MDMA, héroïne, cocaïne, tout y passe. La justice des mineurs tente un cadre, les psychiatres multiplient les diagnostics et les traitements.
Changement de cap
Ses 18 ans à peine fêtés, il est arrêté en décembre 2014 et placé en détention provisoire à Champ-Dollon. Jugé en juillet 2015, le jeune homme est reconnu coupable de brigandage pour avoir racketté le téléphone portable de deux mineurs. Il est également condamné pour s’être introduit chez sa grandmère et avoir pris la voiture de son compagnon. Tout cela dans un état second. A l’époque le Tribunal correctionnel s’écarte de la mesure institutionnelle préconisée par l’expert et se rallie à l’avis du thérapeute qui privilégie un placement dans une structure fermée de type éducatif, plus adaptée au trouble dyssocial, au jeune âge et aux possibilités d’évolution de Chris.
Le jeune homme acquiesce au placement à Pramont, seule institution romande existante, mais celui-ci n’aura jamais lieu. La liste d’attente est longue et les places sont rares. Pire. En juin 2016, l’ancien conseiller d’Etat valaisan Oskar Freysinger décide de donner la priorité à la prise en charge des mineurs. Cette pratique sera abandonnée en mars 2019 par le nouveau ministre Frédéric Favre, lequel ouvre à nouveau la porte à l’admission d’une proportion de jeunes adultes.
Mais c’est trop tard pour Chris. Transféré à La Brenaz après sa condamnation, attendant vainement son transfert à Pramont, il multiplie les altercations verbales et physiques avec les gardiens, se drogue derrière les barreaux et écope de cinq sanctions disciplinaires. «C’est le début de la dégringolade», comme dira son avocate, Me Saskia Ditisheim, à l’heure de plaider les déficiences de l’Etat et l’absence de structures adaptées.
En février 2017, le Tribunal d’application des peines et des mesures (Tapem) prononce un traitement institutionnel en milieu fermé (article 59 du Code pénal) en lieu et place du socio-éducatif (article 61 CP). La voie est toute tracée pour une entrée à Curabilis. Celle-ci a lieu cinq mois plus tard. Dans ce centre pour «internés», Chris continue de fumer du cannabis et d’affronter les gardiens. La direction dépose plainte trois fois et le jeune homme écope de trois ordonnances de condamnation pour ses menaces verbales et gestuelles. Interrogé par le Tapem sur cette colère, il explique: «Ils me provoquent et me parlent mal. Je n’arrive pas à résister.»
Tout n’est pas qu’échec, relève pourtant la juge Laurence Viollier en référence au dernier certificat médical qui atteste d’un bon lien thérapeutique, d’un effort considérable, d’une baisse de l’agressivité, d’une meilleure gestion de la frustration et d’un investissement dans le travail à la buanderie et dans le nettoyage des vitres. Un certificat qui conclut: «La suite de la prise en charge nécessite qu’il puisse se projeter dans l’avenir. Un projet de placement dans un lieu adéquat devra être réfléchi au plus vite, ce qui nous permettra de le préparer, notamment avec un programme de conduites.»
Toujours le dessin
Un mieux malgré la souffrance? Chris ne saisit aucune des perches tendues par le tribunal. Accroché à son stylo comme à une bouée, celui qui rêve d’entrer en art déco et de devenir couturier dessine sur une feuille tout en marmonnant: «Vous m’avez rendu encore plus con qu’avant.»
Pas de quoi décourager Me Ditisheim, qui a la voie libre (le procureur brille par son absence) pour défendre ce client désespéré et dénoncer la perversité de cette mesure institutionnelle: «On essaie de l’aider mais on l’enfonce.» L’avocate critique aussi l’inaction du Service d’application des peines et des mesures, qui n’a pas mis en oeuvre la nouvelle expertise psychiatrique pourtant demandée expressément par ce même tribunal en août 2018.
Un argument qui porte. Après une courte délibération, le président Dario Nikolic annonce que la procédure est suspendue. Le Tapem ordonne luimême cette expertise qui devra lui permettre de décider si un allègement ou une levée de la mesure est possible. «On se reverra après», dit-il à Chris, qui range ses dessins.
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«Vous m’avez rendu encore plus con qu’avant»
CHRIS*