Climat et inégalité des sexes
Depuis le périple transatlantique de la jeune militante Greta Thunberg sur un voilier à l'Assemblée générale des Nations unies jusqu'à la prolifération des manifestations contre l'inaction en matière climatique, le monde est plus conscient que jamais de la menace climatique. Cette conscience accrue du problème doit toutefois se traduire en action collective des dirigeants mondiaux pour atténuer les répercussions des changements climatiques, abstraction faite des initiatives ciblées sur la protection des groupes les plus vulnérables.
Les faits sont éloquents. Les femmes vivent plus souvent que les hommes dans des conditions de pauvreté et les rôles sociaux sexués qui reproduisent les inégalités socioéconomiques de pouvoir laissent les femmes et les adolescentes particulièrement vulnérables à un vaste éventail de conséquences climatiques, notamment un accès réduit à l'eau, à la nourriture ou à un toit.
Il n'est donc pas surprenant que 80% des personnes touchées par les changements climatiques soient des femmes. De plus, il est plus que probable que les femmes subissent une charge de travail plus lourde et des pertes de revenus découlant des catastrophes climatiques. Au Soudan du Sud – l'un des pays dont le climat se réchauffe le plus rapidement –, les sécheresses et les inondations forcent les femmes à marcher de plus en plus loin pour ramasser du bois de chauffage et aller chercher de l'eau, un développement malheureux qui leur fait perdre du temps précieux et les met potentiellement en danger. A mesure que les ménages peinent de plus en plus à combler leurs besoins, les adolescentes sont souvent retirées de l'école ou données en mariage à un très jeune âge. Ceci a pour effet d'amplifier leur vulnérabilité.
Les femmes risquent d'être plus souvent confrontées que les hommes aux effets du climat sur la santé, comme la malnutrition et le paludisme. Leur taux de mortalité est également plus élevé en cas de catastrophes naturelles, comme des sécheresses et des inondations. Un rapport d'Oxfam a constaté qu'en Inde, en Indonésie et au Sri Lanka, les survivants masculins dépassaient en nombre les femmes survivantes après le tsunami de 2004.
L'Organisation mondiale de la santé signale que les effets de l'inégalité des sexes sur l'espérance de vie dans les catastrophes naturelles ont tendance à être plus prononcés dans les catastrophes les plus graves et là où le rang des femmes dans la société et l'économie est inférieur. En d'autres termes, nous ne pouvons résoudre la crise climatique sans nous attaquer à la crise de l'égalité des sexes.
Il ne faut pas s'y méprendre: il y a vraiment une crise de l'égalité des sexes. Notre partenariat, Equal Measures 2030, a récemment lancé l'indice ODD d'inégalité des sexes, qui analyse les données de la plupart des 17 Objectifs de développement durable de 129 pays, représentant 95% des adolescentes et des femmes dans le monde. Selon les indices sur la vulnérabilité aux changements climatiques, la santé, les perspectives économiques, les droits de propriété et la violence sexuelle, nous avons calculé une note pour chaque pays. Sur une échelle de 100 points, la moyenne mondiale ne dépassait pas 65,7 – tout juste la note de passage – et aucun pays n'a atteint une égalité complète des sexes, comme l'envisage le cinquième ODD.
Pour ce qui est du treizième ODD – «prendre d'urgence des mesures pour combattre les changements climatiques et leurs répercussions» –, notre étude a abordé trois thèmes. Le premier était la vulnérabilité globale envers les changements climatiques. Elle varie selon le pays et les régions: dans la région de l'Asie-Pacifique, par exemple, plus de 100 millions de personnes sont déjà touchées par les changements climatiques chaque année. Mais personne n'est à l'abri.
Le deuxième thème – l'engagement de l'Etat envers la réduction des risques de catastrophes – 15 pays sur 129 (11%) seulement reçoivent de très bonnes notes. La planète étant confrontée à l'urgence climatique, tous les pays devraient essayer d'anticiper les catastrophes, en prenant soin de protéger les plus vulnérables.
Le troisième thème – la représentation des femmes dans le processus politique lié aux changements climatiques – a produit des résultats tout aussi décevants. Même si les études tendent à montrer qu'une plus grande participation des femmes dans l'élaboration des politiques donne de meilleurs résultats, notamment la baisse des inégalités, les femmes du monde entier demeurent sous-représentées dans les organismes décisionnels en matière de politiques climatiques.
Que faudrait-il faire pour que les pays progressent sur le cinquième et le treizième ODD, deux objectifs qui sont étroitement liés? Nous proposons sept recommandations.
– Améliorer la planification, créer des banques de données ventilées selon le sexe comportant des informations sur les communautés marginalisées et vulnérables.
– Responsabiliser davantage les Etats en leur demandant de maintenir la liberté d'accès aux données.
– Améliorer la coordination dans tous les ministères d'Etat et les autres organismes concernés.
– Poursuivre des initiatives innovatrices ciblées comme le nouveau programme conjoint du Centre de ressources et de recherches pour les femmes de l'Asie-Pacifique et de l'Association danoise de planification des naissances, qui axe ses travaux au croisement de la vulnérabilité envers les changements climatiques et les droits à la santé génésique et sexuelle.
– Accroître la représentation des femmes dans les instances nationales et internationales travaillant sur les questions liées aux changements climatiques.
– Elaborer des solutions qui reflètent les perspectives des femmes qui subissent les changements climatiques.
– S'engager à entreprendre des interventions de plus grande envergure pour contrer les changements climatiques et l'égalité des sexes, à commencer par le sommet récent de l'ONU sur le climat.
Lorsque les pays tentent de poursuivre des objectifs individuels isolément, ils n'en atteignent aucun. Des stratégies ambitieuses, coordonnées et intégrales sont absolument nécessaires. ▅
Nous ne pouvons résoudre la crise climatique sans nous attaquer à la crise de l’égalité des sexes