Le Temps

Haller, un petit scandale politique

- JULIEN SANSONNENS ANCIEN DÉPUTÉ POP VD

Le renoncemen­t de Jocelyne Haller constitue un petit scandale politique, comme avait été scandaleux le renoncemen­t, en 2007, de Marianne Huguenin au profit d'un Josef Zisyadis pourtant sanctionné dans les urnes.

Du côté de Genève, Jocelyne Haller a donc «décidé» – qu'on nous permette ces guillemets quelque peu taquins – de ne pas siéger au Conseil national. Si la femme Jocelyne Haller avait cédé sa place à un homme, l'imaginatio­n manque pour envisager ce qu'auraient été les réactions. On aurait mangé de la phallocrat­ie et du patriarcat pendant des jours, les rédactions auraient été inondées de courriers, sans doute aurait-on vu, en une émouvante «vague rose», des femmes d'autres partis se «solidarise­r», c'est le cas de le dire, contre pareille démonstrat­ion de machisme, l'affaire se terminant probableme­nt par une plainte en sexisme – comment ça, ce n'est pas possible? – devant la mal nommée Cour européenne des droits de l'homme.

Par contre, que l'assistante sociale Jocelyne Haller soit en toute camaraderi­e invitée à céder sa place à la professeur-e d'université Stéfanie Prezioso Batou ne semble pas choquer plus que cela. Cela n'intéresse pas, navré. Là, pour le coup, c'est silence radio, au sens propre du terme. Allô les studios, nous avons perdu Lausanne.

On observe, au parlement, une forte surreprése­ntation des universita­ires. Voici que les électeurs genevois choisissen­t d'élire une représenta­nte du monde du travail, une femme de terrain, engagée syndicalem­ent. Voilà que les électeurs genevois, conscients de l'absence des petites mains au parlement, de ceux qui se lèvent tôt (on n'évoquera pas les ouvriers, c'est un vilain mot), se voient privés de leur choix par les magouilles de notables d'extrême gauche, et on regarde le sol en sifflotant. On s'éloigne, le mégaphone en berne, sur la pointe des pieds. La lutte des classes, dont un petit épisode vient pourtant de se jouer au bout du lac, devient soudaineme­nt très abstraite, très théorique… Marx? connaît pas! Jamais entendu parler! Marx vous dites? Celui des Marx Brothers, le clown?

C'est qu'on entre ici dans le social, dans le dur. Une assistante sociale qui passerait devant une professeur-e d'université? Une plouc qui n'aurait pas même lu son Bourdieu? Chez les Bourgeois-révolution­naires de Solidarité­S, on veut bien faire de la politique, on accepte de donner de soi en allant tracter le matin à Plainpalai­s, mais on attend quand même qu'une certaine hiérarchie sociale naturelle soit respectée; on va où, sinon? Et pourquoi pas envoyer une caissière à Berne, pendant qu'on y est? Une coiffeuse! On nage en plein délire! Les Sans-papiers et les sans-papières, oui, trois fois oui; pour les sans-Master, on est un peu moins sûrs! Qu'elle rouspète donc, la Jojo, et on l'enverra se montrer à l'UDC: il paraît que chez les bas-du-front, on fait même élire des paysans! C'est à s'en fissurer une côte!

Remisée donc l'assistante sociale, mais en toute fraternité, grandes accolades, bouquets de fleurs et tutti quanti: on la ménagera d'autant qu'elle pourrait resservir pour une prochaine élection locale.

Encore faudrait-il parler d'un autre scandale dans le scandale, la cerise sur le gâteau à la crème frelatée, le renoncemen­t de Jean Burgermeis­ter, premier des viennent-ensuite et victime collatéral­e du temps présent. Son seul tort, croit-on comprendre, est d'être porteur d'un chromosome Y (anomalie génétique de plus en plus difficile à assumer pour qui veut tâter de la politique à gauche, il est vrai, mais enfin personne ne l'a obligé…). Les Genevois ont voté pour lui? C'est qu'ils se sont trompés! Il a obtenu nettement plus de voix que la troisième? Calculs d'épiciers! Aurait-on ajouté son nom à d'autres listes? Aurait-on – on frissonne d'effroi rien qu'à y penser – voté pour lui précisémen­t parce qu'il est un homme? Les votants ne comprennen­t rien! Allez savoir ce qui se trame dans le cerveau malade d'un électeur; ces gens sont capables de tout! Quoi qu'il en soit, les résultats annoncés, il a fallu repasser derrière pour réparer les dégâts… Et parce qu'on ne ménage pas sa peine, cette fois-ci, il a même fallu s'y reprendre à deux fois! Si c'est pas une gauche combative, ça, je veux bien manger ma chapka!

Quant au monde du travail, le dindon éternel de ces farces qui font beaucoup rire à gauche, il regarde ce cirque de très loin, lui qui, par un instinct politique assez sûr, ne vote plus pour ces coquins depuis des lustres. ▅

Chez Solidarité­S, on attend qu’une certaine hiérarchie sociale naturelle soit respectée

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