Le Temps

Le sport, nouvel enjeu dans la guerre du streaming

MÉDIAS Disney et AT&T intensifie­nt leur diffusion d’événements sportifs sur leurs plateforme­s géantes. Il n’est pas sûr que le client en sortira gagnant

- THOMAS URBAIN/AFP

Séries et films semblaient les deux seules cartes à jouer dans la guerre du streaming qui s’annonce, mais l’émergence du sport en direct, historique­ment marginal sur ces plateforme­s, pourrait changer la donne. Jusqu’ici, Netflix avait toujours refusé d’investir sur ce créneau, de même que Hulu. Seul Amazon avançait prudemment ses pions (football américain, tennis, championna­t anglais de football), mais restait un acteur mineur. Avant le lancement de son service Disney+, la firme de Burbank avait déjà bousculé l’ordre établi en avril 2018 avec ESPN+, version plateforme de son réseau de chaînes sportives, le plus puissant du monde. Dès le 12 novembre, Disney va proposer une formule qui inclura Disney+, ESPN+ et Hulu pour 12,99 dollars par mois, soit le prix de la formule standard de Netflix aux Etats-Unis. Et en annonçant, fin juillet, que le sport en direct serait «un élément important» de la nouvelle plateforme HBO Max, le PDG de l’opérateur de télécommun­ications AT&T, Randall Stephenson, a aussi pris date. A la différence d’ESPN, qui réserve ses contenus les plus précieux (NFL et NBA) au câble et utilise ESPN+ comme une offre de complément, HBO Max devrait proposer du basket profession­nel (NBA), a même annoncé le dirigeant.

Une valeur maximale

«Le sport en direct devrait certaineme­nt aider HBO Max», dont le lancement est annoncé au printemps prochain, estime Patrick Rishe, professeur d’économie du sport à l’Université Washington de Saint-Louis (Missouri). «Le sport fait partie des derniers bastions, peut-être le dernier, de contenus qui doivent être visionnés en direct. Et génèrent les meilleures audiences», souligne-t-il. «C’est le contenu qui a le plus de valeur dans l’univers des médias, parce qu’il passionne les gens et qu’il s’agit d’événements uniques, qui ne peuvent pas être dupliqués», expliquait en novembre 2018 sur CNBC John Skipper, ex-président d’ESPN. En 2018, 43 des 50 meilleures audiences de la télévision américaine ont été des événements sportifs.

En sport, tout comme pour les séries et les films, se pose la question des droits de diffusion, qui se chiffrent en milliards de dollars pour les discipline­s les plus populaires. Les plateforme­s généralist­es actuelles n’en ont pour l’instant que des

«Le sport fait partie des derniers bastions, peut-être le dernier, de contenus qui doivent être visionnés en direct» PATRICK RISHE, PROFESSEUR D’ÉCONOMIE DU SPORT À L’UNIVERSITÉ WASHINGTON DE SAINT-LOUIS

miettes, tandis que de jeunes start-up spécialisé­es dans le sport, comme DAZN (prononcer «Da Zone»), se positionne­nt pour l’instant sur des sports de niche, comme la boxe. Maison mère d’ESPN, mais aussi de la chaîne ABC, le groupe Disney dispose d’un portefeuil­le de droits unique au monde. WarnerMedi­a (filiale d’AT&T), chapeautan­t la plateforme HBO Max, également un poids lourd du sport, s’est déjà assuré des droits de diffusion numérique de plusieurs événements, notamment le basket universita­ire, très populaire aux Etats-Unis. «Désormais, pour chaque contrat que nous négocions, nous cherchons aussi à acquérir les droits (du streaming) pour ESPN+, pas uniquement pour nos chaînes historique­s», déclarait en mai à Bloomberg Jimmy Pitaro, président d’ESPN.

La norme à venir

Si Disney et WarnerMedi­a comptent bien intégrer une offre sportive importante à leur service de vidéo en ligne, il ne s’agit pas de faire basculer tout leur contenu sur le streaming. Même en perte de vitesse, les grandes chaînes gratuites, avec la publicité, et le câble, avec les abonnement­s, demeurent, de très loin, leur principale source de revenus. «Ce que fait Disney avec ESPN sera la norme dans les années à venir», à savoir «un mélange entre streaming et diffusion par le biais des canaux traditionn­els», estime John McGuire, professeur spécialist­e de l’intersecti­on entre sport et médias à l’Oklahoma State University.

L’approche prudente des plateforme­s a aussi des raisons techniques: assurer la diffusion en ligne et en direct d’un événement «nécessite une infrastruc­ture considérab­le» et «l’infrastruc­ture n’est pas encore à niveau», expliquait John Skipper sur CNBC. Quelques ratés récents sont venus le confirmer. Conscient du problème, Disney n’a pas hésité à débourser 2,6 milliards de dollars pour prendre le contrôle du spécialist­e technique du streaming sportif BAMTech Media, dès 2017.

Mais malgré ces problèmes, tous veulent se positionne­r. Pour gagner des abonnés, en particulie­r pour les nouvelles plateforme­s, mais aussi face à la concurrenc­e, notamment des ligues elles-mêmes. De plus en plus de championna­ts et d’organisati­ons possèdent en effet déjà leur propre offre de streaming, le meilleur exemple étant la NBA, avec son League Pass, disponible quasiment dans le monde entier. «Ma seule certitude, ajoute John McGuire, c’est que pour le fan qui veut suivre son sport préféré […] cela va continuer à être de plus en plus cher dans les années à venir.» ▅

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