Le Temps

Dernier bal à l’hôtel Overlook

FANTASTIQU­E Le petit garçon cerné par les fantômes de «Shining» est devenu grand. De nouveau confronté aux forces du mal dans «Dr. Sleep», il retourne là où tout a commencé en 1980, devant l’objectif de Kubrick

- A. DN

Stephen King n’aime pas le film que Stanley Kubrick a tiré de son livre. Il a tort, car Shining est un chef-d’oeuvre, infiniment supérieur au chiche embryon qu’est le roman. L’écrivain déplore notamment que le cinéaste ait gommé l’alcoolisme de Jack Torrance (Jack Nicholson), le père de famille qui devient fou dans la solitude hivernale d’un grand hôtel bourré de fantômes. Mais au moins Kubrick a-t-il échangé le final grotesque (attaque d’animaux en buis taillé…) pour un motif autrement intelligen­t: le labyrinthe dans lequel l’enfant sème le loup, son père.

Stephen King a cherché à se réappropri­er son oeuvre à travers une minisérie télévisée (1997) que tout le monde a oubliée puis, en 2013, avec Dr. Sleep, un épais roman reprenant le personnage de Danny: qu’est-il devenu, le petit garçon qui pédalait sur son tricycle dans les couloirs de l’hôtel Overlook? Forcément traumatisé par les événements de l’hiver 1980, le gamin vit avec sa mère en Floride. Il a conservé ce don de voyance qu’il a baptisé «shining». Il discute parfois avec le défunt Hallorann, le cuistot qui partage ce pouvoir.

Brames sépulcraux

Devenu grand, Danny (Ewan McGregor) sombre dans l’alcoolisme. Ayant touché le fond, il part se mettre au vert et au régime sec. Dans la petite ville qui l’a accueilli, il travaille comme aide-soignant dans un établissem­ent médico-social. Son don lui permet d’aider les mourants à trouver la paix – ce qui lui vaut son surnom de Dr. Sleep.

Abra, une adolescent­e dotée du shining, contacte Danny: elle a vu l’assassinat d’un petit joueur de baseball. Depuis des décennies, voire des siècles, une bande de vampires sillonne le pays. Menés par Rose the Hat (Rebecca Ferguson), une amazone belle et cruelle, ils ne se nourrissen­t pas de sang frais, mais de l’aura des enfants mutants.

Abra est leur prochaine cible. Danny s’interpose. L’affronteme­nt final aura lieu à l’épicentre du mal: l’Overlook désaffecté.

Stephen King a tendance à écrire gras, défaut flagrant dans Dr. Sleep. Le passage à l’écran laissait craindre le pire. Mike Flanagan, qui a déjà adapté le maître de l’horreur avec Jessie, s’en tire honorablem­ent, même si la fin traîne un peu en longueur. Au contraire du désastreux Ça: Chapitre 2, il n’abuse pas des scare jumps, ni du morphing. Ainsi Rose la goule ne se laisse pas pousser une gueule de murène comme dans le livre.

Tapi au plus profond de l’imaginaire collectif, l’hôtel Overlook a été revisité l’an dernier sur le mode parodique dans Ready Player One, de Steven Spielberg. Dr. Sleep opère un retour aux sources du mal autrement oppressant – et compliqué puisqu’il doit respecter le point de vue de King sans renier le film culte, bien au contraire!

Le thème musical de Shining, ces brames sépulcraux de cuivres, retentit dès le logo de la Warner. Lorsque Dan prend la route des Rocheuses, certains plans du générique de Kubrick sont reproduits à l’identique. Le mot «redrum» réapparaît inopinémen­t, toujours terrifiant. Revenir dans le palace anxiogène est un exercice fascinant. On retrouve la moquette aux motifs pop, la chaudière, la machine à écrire, la chambre 237 et sa baigneuse putride, les soeurs jumelles assassinée­s… Des comédiens ressemblan­ts tiennent le rôle de Wendy Torrance, d’Hallorann, de Grady le maître d’hôtel, de divers fantômes… Ils font illusion. Hormis le pauvre gars qui interprète Jack Torrance: n’est pas Jack Nicholson qui veut… ▅

«Dr. Sleep», de Mike Flanagan (Etats-Unis, 2019), avec Ewan McGregor, Rebecca Ferguson, Carel Struycken, 2h31.

Revenir dans le palace anxiogène est un exercice fascinant

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