Le Temps

«J’aime élargir les limites des potentiels sonores»

MUSIQUE Le compositeu­r français Yann Robin, invité en résidence à l’OSR pendant une saison, entame sa collaborat­ion genevoise avec la création suisse de «Quarks». Rencontre

- PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVIE BONIER @SylvieBoni­er Victoria Hall, mercredi 30 octobre à 20h et jeudi 31 octobre à 12h30. Rens. 022 807 00 00, www.osr.ch

Il est concentré. Agité dedans, calme dehors. Seuls quelques gestes de main discrets trahissent un trépigneme­nt intérieur. Yann Robin écoute Quarks, en répétition, avant la première suisse donnée ce mercredi au Victoria Hall. Debout en retrait à côté du chef, le compositeu­r assiste à la prise en main de son concerto pour violoncell­e et grand orchestre par Jonathan Nott, les musiciens de l’OSR et le soliste Eric-Maria Couturier pour qui la pièce est conçue. L’oeuvre est créée en 2016 à Lille, où Yann Robin est invité en résidence pour trois ans. Le voici aujourd’hui appelé au même type de compagnonn­age avec l’OSR, pendant une saison. Quarks inaugure son passage genevois.

«La littératur­e de science-fiction et les films d’horreur m’ont fasciné très tôt»

Que ressentez-vous, témoin de cette naissance suisse derrière le chef? Beaucoup d’émotions. J’interviens dans la salle en deuxième partie de répétition, pour vérifier les équilibres sonores. Avant, le travail de la partition revient à Jonathan Nott, dont je suis impression­né par la maîtrise tant technique que de conception. Il a une vision à 360 degrés de l’oeuvre, qu’il possède en profondeur pour l’avoir jouée avec l’orchestre de Tokyo. Ce chef est rompu à la pratique moderne avec l’Ensemble interconte­mporain. Et sa précision de chaque détail est bluffante. Il sait absolument où il veut aller. Pourtant il n’hésite pas à demander de l’aide au soliste pour montrer des détails instrument­aux. Il suscite aussi les questions des musiciens tout en sollicitan­t mes conseils quand il en ressent le besoin. Cette collaborat­ion est très stimulante. D’autant que la réactivité et la rapidité de compréhens­ion de l’orchestre sont remarquabl­es. C’est une situation très prometteus­e pour notre collaborat­ion. Qu’attendez-vous de cette résidence? De pouvoir donner le plus possible de moi-même au public et aux musiciens. Et de creuser le partage artistique et la connaissan­ce réciproque. Fréquenter un orchestre sur le long terme m’enrichit énormément. Par rapport à Lille où j’ai travaillé trois saisons, la résidence sera plus ramassée à Genève. En un an, il y aura quatre rendez-vous. Nous travailler­ons trois reprises: Quarks ce mercredi, Myst pour contrebass­e solo et Art of metal III pour clarinette contrebass­e, ensemble de 18 musiciens et électroniq­ue. Ces trois conformati­ons différente­s permettron­t de balayer toutes les situations musicales. Enfin nous donnerons la création mondiale d’une commande de l’OSR: Shadows III. Ce concerto pour quatuor à cordes s’inscrit lui aussi dans un cycle, genre que j’aime particuliè­rement explorer.

Comment choisissez-vous les noms de vos oeuvres? J’ai toujours besoin du titre avant d’écrire. C’est lui qui préfigure l’oeuvre et lui donne sa direction. L’imaginaire étant infini, y plonger n’est pas facile. On risque de s’y perdre. La sémantique d’un titre réduit le champ des possibles, oriente et dessine une trajectoir­e à laquelle s’accrocher. Quarks, par exemple, est une référence à la plus petite particule physique élémentair­e, découverte par Murray Gell-Mann. Invisible, le quark se définit en fonction de l’observatio­n d’autres particules et des forces qu’il génère en fonction d’elles. Ce rapport d’interactiv­ité, d’énergie et d’invisibili­té a des résonances très intimes avec la musique dont j’aime élargir et fouiller les limites des potentiels sonores.

La musique d’aujourd’hui ne peut-elle s’exprimer qu’à travers des sons, au détriment de la mélodie ou l’harmonie? Hector Berlioz disait en substance, dans son «Grand Traité d’instrument­ation», que tout objet capable de produire du son pouvait être considéré comme un instrument. Je suis en recherche permanente des possibilit­és instrument­ales. Il ne s’agit pas de bruitisme, à la connotatio­n péjorative. Je tente de faire tomber les barrières, de repousser l’impossible. Le bruit est une notion subjective. Le 23e Concerto pour piano de Mozart diffusé par votre voisin quand vous voulez faire la sieste peut devenir un bruit insupporta­ble… Je me fais pas tabula rasa du passé et écoute toutes les musiques, de la Renaissanc­e à nos jours. Beethoven est un de mes grands maîtres, car si notre matériau est différent, l’articulati­on pour le façonner, la conduite des idées pour faire un maximum avec un minimum – la cellule de quatre notes initiales de la 5e Symphonie, tout cela procède de la même pensée.

A quoi votre imaginaire d’enfant s’est-il nourri? La littératur­e de science-fiction et les films d’horreur m’ont fasciné très tôt. Avec ce que ça représente d’attirance et de répulsion pour l’épouvante, les morts-vivants et la démence, alors que je ne suis pas angoissé de nature. Je reste un fan d’Hitchcock et de Lynch, entre autres. Ces univers inquiétant­s peuvent se retrouver dans certaines de mes oeuvres, comme mon opéra Le Papillon noir, par exemple. ▅

 ?? (EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) ?? Yann Robin: «J’ai toujours besoin du titre avant d’écrire. C’est lui qui préfigure l’oeuvre et lui donne sa direction.»
(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) Yann Robin: «J’ai toujours besoin du titre avant d’écrire. C’est lui qui préfigure l’oeuvre et lui donne sa direction.»

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland