«J’aime élargir les limites des potentiels sonores»
MUSIQUE Le compositeur français Yann Robin, invité en résidence à l’OSR pendant une saison, entame sa collaboration genevoise avec la création suisse de «Quarks». Rencontre
Il est concentré. Agité dedans, calme dehors. Seuls quelques gestes de main discrets trahissent un trépignement intérieur. Yann Robin écoute Quarks, en répétition, avant la première suisse donnée ce mercredi au Victoria Hall. Debout en retrait à côté du chef, le compositeur assiste à la prise en main de son concerto pour violoncelle et grand orchestre par Jonathan Nott, les musiciens de l’OSR et le soliste Eric-Maria Couturier pour qui la pièce est conçue. L’oeuvre est créée en 2016 à Lille, où Yann Robin est invité en résidence pour trois ans. Le voici aujourd’hui appelé au même type de compagnonnage avec l’OSR, pendant une saison. Quarks inaugure son passage genevois.
«La littérature de science-fiction et les films d’horreur m’ont fasciné très tôt»
Que ressentez-vous, témoin de cette naissance suisse derrière le chef? Beaucoup d’émotions. J’interviens dans la salle en deuxième partie de répétition, pour vérifier les équilibres sonores. Avant, le travail de la partition revient à Jonathan Nott, dont je suis impressionné par la maîtrise tant technique que de conception. Il a une vision à 360 degrés de l’oeuvre, qu’il possède en profondeur pour l’avoir jouée avec l’orchestre de Tokyo. Ce chef est rompu à la pratique moderne avec l’Ensemble intercontemporain. Et sa précision de chaque détail est bluffante. Il sait absolument où il veut aller. Pourtant il n’hésite pas à demander de l’aide au soliste pour montrer des détails instrumentaux. Il suscite aussi les questions des musiciens tout en sollicitant mes conseils quand il en ressent le besoin. Cette collaboration est très stimulante. D’autant que la réactivité et la rapidité de compréhension de l’orchestre sont remarquables. C’est une situation très prometteuse pour notre collaboration. Qu’attendez-vous de cette résidence? De pouvoir donner le plus possible de moi-même au public et aux musiciens. Et de creuser le partage artistique et la connaissance réciproque. Fréquenter un orchestre sur le long terme m’enrichit énormément. Par rapport à Lille où j’ai travaillé trois saisons, la résidence sera plus ramassée à Genève. En un an, il y aura quatre rendez-vous. Nous travaillerons trois reprises: Quarks ce mercredi, Myst pour contrebasse solo et Art of metal III pour clarinette contrebasse, ensemble de 18 musiciens et électronique. Ces trois conformations différentes permettront de balayer toutes les situations musicales. Enfin nous donnerons la création mondiale d’une commande de l’OSR: Shadows III. Ce concerto pour quatuor à cordes s’inscrit lui aussi dans un cycle, genre que j’aime particulièrement explorer.
Comment choisissez-vous les noms de vos oeuvres? J’ai toujours besoin du titre avant d’écrire. C’est lui qui préfigure l’oeuvre et lui donne sa direction. L’imaginaire étant infini, y plonger n’est pas facile. On risque de s’y perdre. La sémantique d’un titre réduit le champ des possibles, oriente et dessine une trajectoire à laquelle s’accrocher. Quarks, par exemple, est une référence à la plus petite particule physique élémentaire, découverte par Murray Gell-Mann. Invisible, le quark se définit en fonction de l’observation d’autres particules et des forces qu’il génère en fonction d’elles. Ce rapport d’interactivité, d’énergie et d’invisibilité a des résonances très intimes avec la musique dont j’aime élargir et fouiller les limites des potentiels sonores.
La musique d’aujourd’hui ne peut-elle s’exprimer qu’à travers des sons, au détriment de la mélodie ou l’harmonie? Hector Berlioz disait en substance, dans son «Grand Traité d’instrumentation», que tout objet capable de produire du son pouvait être considéré comme un instrument. Je suis en recherche permanente des possibilités instrumentales. Il ne s’agit pas de bruitisme, à la connotation péjorative. Je tente de faire tomber les barrières, de repousser l’impossible. Le bruit est une notion subjective. Le 23e Concerto pour piano de Mozart diffusé par votre voisin quand vous voulez faire la sieste peut devenir un bruit insupportable… Je me fais pas tabula rasa du passé et écoute toutes les musiques, de la Renaissance à nos jours. Beethoven est un de mes grands maîtres, car si notre matériau est différent, l’articulation pour le façonner, la conduite des idées pour faire un maximum avec un minimum – la cellule de quatre notes initiales de la 5e Symphonie, tout cela procède de la même pensée.
A quoi votre imaginaire d’enfant s’est-il nourri? La littérature de science-fiction et les films d’horreur m’ont fasciné très tôt. Avec ce que ça représente d’attirance et de répulsion pour l’épouvante, les morts-vivants et la démence, alors que je ne suis pas angoissé de nature. Je reste un fan d’Hitchcock et de Lynch, entre autres. Ces univers inquiétants peuvent se retrouver dans certaines de mes oeuvres, comme mon opéra Le Papillon noir, par exemple. ▅