Les parapluies de la rigidité budgétaire
Face à un ralentissement économique maintenant avéré, on pourrait s’attendre à ce que la plupart des pays affectés prennent des mesures de relance budgétaire. Pas du tout, en Europe comme en Asie et en Amérique latine, on voit les gouvernements regarder ailleurs, laissant encore une fois leurs banques centrales faire le travail. L’aversion aux déficits est absolue et quasi universelle, et la Suisse n’y échappe pas. Les crises de la dernière décennie ont marqué les esprits, nul n’est à l’abri et les conséquences, économiques, sociales et politiques, sont massives. Se mettre à l’abri est devenu la préoccupation première.
Clairement, ignorer la montée de l’endettement est le plus sûr moyen de se retrouver dans une crise dévastatrice, et pas seulement économique. La leçon est claire, l’Argentine comme le Venezuela sont là pour nous le rappeler. Tout aussi clair est qu’en la matière il vaut mieux être trop rigide que trop flexible, après tout une récession est préférable à une crise. Certes, mais faut-il vraiment choisir? Ne peut-on pas chercher à éviter une récession sans planter les germes d’une crise? C’est tout à fait possible. On peut faire mieux que ne rien faire du tout sans prendre de risque.
Car on a beaucoup appris et beaucoup expérimenté depuis vingt ans. Beaucoup de pays se sont dotés de règles budgétaires, comme le frein à l’endettement suisse. Ces règles varient beaucoup d’un pays à l’autre. Certaines sont efficaces, d’autres pas. Certaines sont trop rigides ou trop mécaniques, d’autres sont trop flexibles ou trop politiquement manipulables. Il s’agit de trouver le bon dosage de la vertu budgétaire, celui qui permet de faire face aux mauvaises années à condition de corriger, à coup sûr, le tir durant les bonnes années. Les spécialistes dégagent progressivement un consensus sur les règles qui combinent rigidité à long terme et flexibilité à court terme. Autrement dit, il n’est pas question de laisser la dette publique augmenter sans fin mais il faut aussi empêcher une récession quand on peut l’éviter.
Au niveau politique et au sein de bien des Ministères des finances, ce raisonnement ne passe pas. La peur des déficits y est prégnante. Il est vrai que le message qui oppose ce que l’on peut faire maintenant et ce qu’il faudra faire ensuite – accepter un déficit puis atteindre le surplus – n’est pas simple et peut même paraître paradoxal. Comment, en effet, s’engager aujourd’hui à faire demain l’inverse de ce que l’on fait aujourd’hui?
C’est ici que l’existence de règles bien conçues est essentielle. En attendant la règle parfaite, à supposer qu’elle existe, la réaction des politiques et des administrations est de ne prendre aucun risque, quitte à laisser le pays s’enfoncer dans une récession. On ouvre les parapluies et on attend que l’orage passe. Pour les dégâts on pourra toujours blâmer la mondialisation, les marchés financiers ou la robotisation, car prouver le contraire devient une bataille d’experts qui n’intéresse pas l’opinion publique. On laisse la banque centrale faire ce qu’elle peut, même si elle ne peut plus grandchose. Si elle échoue, ce sera sa faute, pas celle des politiques et des administrations.
Si la prudence des politiques et des administrations est compréhensible et préférable au laxisme, elle est excessive. Outre l’amélioration des règles existantes – on peut toujours faire mieux –, une solution existe et est en train d’être rodée. Une quarantaine de pays se sont dotés de «conseils de la politique budgétaire». Ces conseils sont constitués d’experts apolitiques et indépendants chargés d’interpréter les règles de discipline budgétaire. Cet arrangement ressemble un peu à celui des banques centrales confiées à des experts indépendants qui mettent en oeuvre un mandat de stabilité des prix, avec la différence que les conseils ne prennent pas de décision mais informent les gouvernements et les opinions publiques. L’expérience est récente et tous les conseils ne sont pas encore performants, mais elle est encourageante et en voie d’amélioration. En Suisse, le frein à l’endettement est perfectible et son amélioration, couplée à la création d’un conseil, permettrait de contourner la rigidité actuelle de la politique budgétaire, que relève explicitement dans sa dernière évaluation le FMI, que personne n’accuse de laxisme, bien au contraire! Il est possible de tirer les leçons de ce qui a été fait dans beaucoup de pays et d’établir un nouvel étalon de la bonne politique budgétaire, comme ce fut le cas avec l’adoption du frein à l’endettement il y a bientôt vingt ans. Aujourd’hui, on sait encore mieux faire.
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