Le Temps

Les parapluies de la rigidité budgétaire

- CHARLES WYPLOSZ

Face à un ralentisse­ment économique maintenant avéré, on pourrait s’attendre à ce que la plupart des pays affectés prennent des mesures de relance budgétaire. Pas du tout, en Europe comme en Asie et en Amérique latine, on voit les gouverneme­nts regarder ailleurs, laissant encore une fois leurs banques centrales faire le travail. L’aversion aux déficits est absolue et quasi universell­e, et la Suisse n’y échappe pas. Les crises de la dernière décennie ont marqué les esprits, nul n’est à l’abri et les conséquenc­es, économique­s, sociales et politiques, sont massives. Se mettre à l’abri est devenu la préoccupat­ion première.

Clairement, ignorer la montée de l’endettemen­t est le plus sûr moyen de se retrouver dans une crise dévastatri­ce, et pas seulement économique. La leçon est claire, l’Argentine comme le Venezuela sont là pour nous le rappeler. Tout aussi clair est qu’en la matière il vaut mieux être trop rigide que trop flexible, après tout une récession est préférable à une crise. Certes, mais faut-il vraiment choisir? Ne peut-on pas chercher à éviter une récession sans planter les germes d’une crise? C’est tout à fait possible. On peut faire mieux que ne rien faire du tout sans prendre de risque.

Car on a beaucoup appris et beaucoup expériment­é depuis vingt ans. Beaucoup de pays se sont dotés de règles budgétaire­s, comme le frein à l’endettemen­t suisse. Ces règles varient beaucoup d’un pays à l’autre. Certaines sont efficaces, d’autres pas. Certaines sont trop rigides ou trop mécaniques, d’autres sont trop flexibles ou trop politiquem­ent manipulabl­es. Il s’agit de trouver le bon dosage de la vertu budgétaire, celui qui permet de faire face aux mauvaises années à condition de corriger, à coup sûr, le tir durant les bonnes années. Les spécialist­es dégagent progressiv­ement un consensus sur les règles qui combinent rigidité à long terme et flexibilit­é à court terme. Autrement dit, il n’est pas question de laisser la dette publique augmenter sans fin mais il faut aussi empêcher une récession quand on peut l’éviter.

Au niveau politique et au sein de bien des Ministères des finances, ce raisonneme­nt ne passe pas. La peur des déficits y est prégnante. Il est vrai que le message qui oppose ce que l’on peut faire maintenant et ce qu’il faudra faire ensuite – accepter un déficit puis atteindre le surplus – n’est pas simple et peut même paraître paradoxal. Comment, en effet, s’engager aujourd’hui à faire demain l’inverse de ce que l’on fait aujourd’hui?

C’est ici que l’existence de règles bien conçues est essentiell­e. En attendant la règle parfaite, à supposer qu’elle existe, la réaction des politiques et des administra­tions est de ne prendre aucun risque, quitte à laisser le pays s’enfoncer dans une récession. On ouvre les parapluies et on attend que l’orage passe. Pour les dégâts on pourra toujours blâmer la mondialisa­tion, les marchés financiers ou la robotisati­on, car prouver le contraire devient une bataille d’experts qui n’intéresse pas l’opinion publique. On laisse la banque centrale faire ce qu’elle peut, même si elle ne peut plus grandchose. Si elle échoue, ce sera sa faute, pas celle des politiques et des administra­tions.

Si la prudence des politiques et des administra­tions est compréhens­ible et préférable au laxisme, elle est excessive. Outre l’améliorati­on des règles existantes – on peut toujours faire mieux –, une solution existe et est en train d’être rodée. Une quarantain­e de pays se sont dotés de «conseils de la politique budgétaire». Ces conseils sont constitués d’experts apolitique­s et indépendan­ts chargés d’interpréte­r les règles de discipline budgétaire. Cet arrangemen­t ressemble un peu à celui des banques centrales confiées à des experts indépendan­ts qui mettent en oeuvre un mandat de stabilité des prix, avec la différence que les conseils ne prennent pas de décision mais informent les gouverneme­nts et les opinions publiques. L’expérience est récente et tous les conseils ne sont pas encore performant­s, mais elle est encouragea­nte et en voie d’améliorati­on. En Suisse, le frein à l’endettemen­t est perfectibl­e et son améliorati­on, couplée à la création d’un conseil, permettrai­t de contourner la rigidité actuelle de la politique budgétaire, que relève explicitem­ent dans sa dernière évaluation le FMI, que personne n’accuse de laxisme, bien au contraire! Il est possible de tirer les leçons de ce qui a été fait dans beaucoup de pays et d’établir un nouvel étalon de la bonne politique budgétaire, comme ce fut le cas avec l’adoption du frein à l’endettemen­t il y a bientôt vingt ans. Aujourd’hui, on sait encore mieux faire.

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