Le Temps

La nouvelle chimie du béton

Plusieurs stratégies sont à l’étude pour réduire l’empreinte carbone des cimenterie­s

- FLORENCE ROSIER

Le ciment classique (Portland) est composé de 95% de clinker et de 5% de gypse. La propriété clé du clinker est de réagir avec l’eau: il se transforme en une «colle» qui agglomère les granulats du béton. Le gypse, lui, sert à contrôler la prise du béton. «Pour fabriquer le clinker, on mélange 70% de calcaires et 30% d’argiles, deux roches très répandues», expose Laurent Izoret, de l’Atilh (Associatio­n technique de l’industrie des liants hydrauliqu­es, en France). Le mélange est ensuite broyé puis porté à 1450°C. Résultat: le carbonate de calcium (CaCO3) du calcaire se décompose en oxyde de calcium (CaO) et en gaz carbonique (CO2). Il y a donc deux sources de CO2. La première résulte de cette réaction de «décarbonat­ation». La seconde est d’origine énergétiqu­e: il faut cuire le mélange à très haute températur­e.

Comment réduire la quantité de CO2 liée à cette cuisson? En abaissant sa températur­e. «Une des solutions est d’utiliser des ciments «sulfo-alumineux», à base de différente­s roches (ye’elimite, bélite…)», indique Laurent Izoret. Leur point commun: des groupement­s de sulfate y remplacent les silicates des calcaires et argiles. Conséquenc­e: la températur­e de cuisson peut être abaissée à 1100°C, d’où un bilan énergétiqu­e plus favorable.

Et pour la décarbonat­ation? Première option: réduire la proportion de clinker. L’idée est de diluer ce principe actif avec d’autres composants actifs: poudre de calcaire (non cuite), laitiers (résidus issus des hauts-fourneaux), fumées de silice…

Une sixième famille

Il existe aujourd’hui cinq types de ciments (CEM I à CEM V), selon leur proportion de clinker et d’autres constituan­ts. Mais depuis quelques années, une nouvelle famille émerge: le CEM VI. Sa teneur en clinker n’excède pas 50%. L’EPFL participe au développem­ent d’un de ces ciments plus écologique­s: le LC3. Ici, le clinker est dilué avec un mélange d’argile calcinée et de calcaire broyé (non cuit). «L’intérêt est la disponibil­ité quasi illimitée de l’argile qui, une fois chauffée à 800°C, va fournir l’argile calcinée, détaille la professeur­e Karen Scrivener, de l’EPFL. Le LC3 peut permettre de réduire de 40% les émissions de CO2.» Les premiers industriel­s devraient commencer à fabriquer ce ciment d’ici à six mois. Les pays en développem­ent, mais aussi l’Europe sont intéressés.

Autre stratégie à l’étude: le projet français FastCarb (Fast Carbonatat­ion), démarré en 2018. Il marie deux idées: «récupérer les bétons de démolition et les utiliser comme puits de CO2 avant de les recycler», résume Jean-Michel Torrenti, chercheur à l’Ifsttar (Institut français des sciences et technologi­es des transports, de l’aménagemen­t et des réseaux). Explicatio­ns. Prenez la «pâte de ciment hydratée» issue des chantiers de démolition: quand elle était à l’intérieur de la masse du béton, elle n’était pas en contact avec l’air. Une fois au contact de l’air, comme elle contient du calcium, sa tendance naturelle est de capter le CO2 pour former de nouveau du calcaire.

Le processus: récupérer les fumées de cimenterie­s, qui contiennen­t 15% de CO2, et les faire passer dans un conteneur contenant le béton concassé. Une fois retransfor­mée en calcaire, cette poudre est renvoyée dans un cycle de fabricatio­n de béton. Une économie circulaire «quasi automatisa­ble, en cours d’expériment­ation dans deux cimenterie­s en France», indique Laurent Izoret.

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