Le Temps

L’architecte vaudois qui a recréé le ciel des Emirats au Palais des Nations

Stupeur peu avant la livraison: les étagères de la bibliothèq­ue sont vides. «On est allés chez Emmaüs et on a acheté de beaux livres au kilo» L’architecte vaudois, designer dans l’âme, a signé de la pointe de son crayon le nouvel habillage d’une salle de

- CHRISTIAN LECOMTE @chrislecdz­5

Il est prévenant et souriant, a gardé de son Iran natal une gestuelle lente et un phrasé subtil. Le vêtement est sobre mais soigné, tout aussi dénué de pli que ses bureaux de la rue Etraz. C'est design, clair, structuré et chic. Un petit Art Basel à Lausanne. Canapé, tables basses, chaises de style, bar formel et ce pan de mur ouvert sur les photograph­ies en grand format des réalisatio­ns de l'atelier Adeli.

Une de ces images est en réalité un écran où Siavosh Adeli aime à montrer à ses visiteurs le passé d'une passion et son actualité. En insistant sur un joyau: le rhabillage de la salle des Emirats (ancienne salle XVII) du Palais des Nations à Genève, commencé le 6 juin 2015 et achevé le 20 mai 2016. Siavosh Adeli ne peut oublier ces dates, «car le pari paraissait insensé de rénover une salle très complexe de 1500 m² en si peu de temps.»

Un miracle

Il poursuit: «La salle était déjà réservée le 23 mai 2016 par l'OMS puis par le BIT. Il était inconcevab­le de ne pas rendre le lieu à temps. Le 20 au matin, on passait encore le chiffon.» Financée par les Emirats arabes unis (EAU), la transforma­tion de la salle a coûté 22 millions de dollars et des sueurs froides à l'architecte vaudois. Tout tient du miracle dans cette aventure. Notamment qu'Adeli ait remporté l'appel d'offres sachant que concourrai­ent de prestigieu­x bureaux italiens, espagnols et français. La sensibilit­é orientale de Siavosh Adeli a séduit les dignitaire­s d'Abu Dhabi.

L'architecte a usé d'éléments symbolique­s liés au patrimoine géographiq­ue et culturel du pays donateur. Une structure métallique inspirée de l'emblème des EAU orne le plafond et des diodes électrolum­inescentes répliquent le ciel des Emirats en donnant l'impression de défilé du matin au crépuscule en heure réelle.

«Le Ministère présidenti­el des affaires d'Abu Dhabi a beaucoup apprécié la façon d'ouvrir ce plafond vers le ciel», se souvient Siavosh. La moquette couleur ocre renvoie à l'immensité de sable, le pourtour en panneau de bois courbe est une allégorie au vent dans les dunes et le reflet d'un cheval partout perceptibl­e incarne le mirage du désert. Adeli a remporté quatre awards internatio­naux pour cette réalisatio­n.

Siavosh Adeli a versé dans l'art décoratif dès l'enfance. Il quittait peu la main de son père, architecte très en vogue à Téhéran et proche de la soeur du shah d'Iran, qui faisait appel à ses services. La révolution islamique en 1979 puis la guerre Iran-Irak l'ont poussé à fuir par bateau avec un faux passeport et monter à Karachi dans un avion pour Londres. De là, il rejoint la Suisse, où un ami l'a accueilli. En 1983, Siavosh et sa mère ont pris un vol Swissair pour Genève. Il retrouve son père, qui l'emmène par la suite à Art Basel et à Milan au salon du meuble.

Entre 1991 et 1996, Siavosh étudie à l'école d'architectu­re Athenaeum, à Lausanne, créée par Alberto Sartoris. Il y rencontre Joakim de Rham, un autre élève. Une amitié se noue et l'idée germe de fonder un bureau. Adeli & de Rham voit le jour en 1999, une adresse à Fribourg où vit Siavosh, une autre à Lausanne où habite Joakim. Ils sont très jeunes et osent beaucoup. Frappent à beaucoup de portes, des massives: TAG Heuer, Mövenpick, British American Tobacco.

Premier projet: l'agence Iran Air à Genève qu'ils rénovent. Ils nouent des contacts avec les Emirats arabes unis «parce que c'est l'endroit où il faut être». Joakim s'y établit et ouvre à Dubaï son propre bureau tout en restant le partenaire de Siavosh. En 2008, Adeli remporte un concours lancé par la famille royale d'Abu Dhabi pour réaliser la transforma­tion de son chalet à Crans-Montana: 1250 m², 11 chambres, 15 salles de bains et une piscine de 250 m². L'architecte allie chalet alpin et nuances arabes. Tableaux avec cheptels qui broutent et moquettes en arabesque d'un tapissier lausannois. «En voyant les plans, le cheikh m'a dit: je reconnais mon chalet, je veux cela», se rappelle Siavosh Adeli. Stupeur peu avant la livraison: les étagères de la bibliothèq­ue sont vides. «On est allés chez Emmaüs et on a acheté de beaux livres au kilo.»

Autre gros «chantier» de 2009 à 2011 en collaborat­ion avec KCA Internatio­nal et Hervé de Rham architecte: la transforma­tion de la Fédération équestre internatio­nale à Lausanne, présidée à l'époque par la princesse Haya, fille du défunt roi Hussein de Jordanie. Siavosh a carte blanche, opte pour le zen, conçoit un atrium géant «en synergie avec les trois étages». Les boiseries linéaires suggèrent des ondes au galop.

Débrief à la maison

Quelque chose d'un peu spécial et de très attachant se présente ensuite en 2016: la rénovation d'une des villas Dubochet, aux faux airs de Disneyland, sur les rives du lac à Clarens (VD), qui fait partie d'un ensemble prestigieu­x de demeures de la fin du XIXe siècle. Une famille indienne a mandaté Adeli pour repenser l'intérieur. Hormis la cage d'escalier dont le décor peint a pu être restauré, le reste de l'aménagemen­t a été conçu de manière très contempora­ine, avec des extensions, des combles aménagés en espace ouvert et un sous-sol enterré devenu zone d'agrément (home cinéma, jacuzzi et bain turc).

«Ce métier, dit Siavosh Adeli, nous demande aussi d'être des psychologu­es afin de pouvoir accéder à une forme d'intimité avec le mandataire.» Son épouse est elle-même designer. A la maison, il paraît que l'on débriefe beaucoup.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland