La chute des cours du café vue par le patron de Sucafina
Face à la chute des cours du café, le patron du groupe Sucafina cherche des solutions pour ses partenaires agriculteurs. Nicolas Tamari ne manque pas d’égratigner les politiciens genevois au passage
Global Grain a lieu cette semaine à Genève. Le sommet des céréales lorgne aussi sur le café, cette ressource qui voit son cours baisser depuis plus de dix ans. Une chute très suivie en Suisse où, selon la Confédération, plus de la moitié du café mondial est négocié. Entretien avec Nicolas Tamari, patron du groupe Sucafina, un des poids lourds de la place.
Les prix du café n’ont jamais été aussi bas en 13 ans. Comment est-ce que Sucafina gère cette crise? Si les prix ont chuté, c’est parce que le Brésil et le Vietnam, de loin les deux principaux producteurs, ont atteint des niveaux de productivité supérieurs aux autres. En plus, les prix du café sont labellisés en dollars. Or le real, la monnaie brésilienne, s’est dévalué par rapport au dollar. Oui, il y a une suroffre, mais sans qu’il n’y ait de crise au Brésil et au Vietnam. Nous travaillons historiquement avec des producteurs en Afrique de l’Est, mais on s’est développés ces cinq dernières années en Amérique et on veut croître en Asie.
Et, du coup, comment gérez-vous la situation? On essaie premièrement d’aider nos caféiculteurs partenaires à mieux gérer leurs revenus: on ne les paie plus en liquide mais de façon numérique, ce qui leur permet de garder une trace de leurs revenus, que leur banque peut consulter en cas d’emprunt. On aimerait qu’à la fin de l’année nos 19 936 caféiculteurs au Rwanda soient payés exclusivement comme ça.
Et deuxièmement? Jusqu’à peu, on aidait nos caféiculteurs à améliorer leur productivité et la qualité du café. On les encourage depuis un an à produire d’autres choses, des bananes ou du maïs, pour diversifier leurs revenus. En Ouganda, on leur achète du maïs qu’on revend à un brasseur. On ne se diversifie pas dans le maïs, mais on met notre réseau à disposition.
Pourquoi faites-vous tout ça? Si on ne donne pas aux producteurs les moyens de faire du café, ils vont arrêter d’en cultiver et pour nous ce serait une catastrophe. Un tiers du café qu’on revend vient d’Afrique de l’Est (Ouganda, Rwanda, Burundi, Kenya, Tanzanie, Ethiopie); jusqu’à 20% du café de ces pays nous est vendu. Je pense qu’il faut réinventer le capitalisme.
C’est-à-dire? Cet été aux Etats-Unis, 180 patrons ont signé une charte dans laquelle ils s’engagent à ce que leurs actionnaires ne soient plus leur seule priorité. Désormais, tous les stakeholders (intervenants) sont les priorités: employés, partenaires, fournisseurs, clients, actionnaires. Le monde change, on ne peut plus penser à court terme. On se transforme car on veut être un acteur qui sera là dans 42 ans (Sucafina, créé en novembre 1977, a 42 ans aujourd’hui).
Il y a une dizaine de grands marchands de café dans le monde. Est-ce sain d’en avoir si peu alors qu’il y a tant de petits producteurs? Il y a 20 millions de caféiculteurs dans une trentaine de pays. Beaucoup d’entre eux seront amenés à s’unir, il y en aura moins mais ils seront plus grands. Parmi les marchands, il y a eu une consolidation ces dernières années et il y en aura encore. Il faut avoir une valeur ajoutée. Je ne vois pas de futur chez les traders qui ont deux téléphones, et qui se contentent d’acheter au moindre prix pour revendre plus cher. Nous avons une dizaine d’usines. Les torréfacteurs, nos clients, se sont aussi consolidés. A l’époque, chaque quartier avait sa «brûlerie», son torréfacteur. Maintenant, on vend surtout à des multinationales.
On dit que les Chinois se mettent à boire du café. En Chine, le café est devenu un phénomène de société. On vient d’acheter un marchand de café à Hongkong et en Australie, MTC, pour grandir en Chine et en Australie.
Etes-vous satisfait du vote favorable à la réforme fiscale et au financement de l’AVS (RFFA)? Je n’aime pas m’exprimer sur les questions politiques. Ce que je vois, c’est que la question a mis des années à être tranchée et que cette période d’incertitude a été néfaste. Je connais des entreprises qui ne se sont pas installées à Genève à cause de cette incertitude. Les politiciens genevois donnent une triste image d’eux-mêmes. Ils feraient mieux de s’entendre sur des sujets d’autant plus importants que les places étrangères nous font les yeux doux, Singapour mais aussi la Malaisie et la Hollande.
Pourquoi est-ce que Sucafina s’est lancé à Genève, en 1977? Parce que c’était déjà un centre de négoce avec un écosystème favorable, la SGS, les banques. Je salue le travail de la STSA [l’association faîtière des négociants en Suisse]. Le master à l’Université de Genève crée un vivier de talents. Chaque année, on envoie quelqu’un suivre ce cours. Sucafina emploie une trentaine de personnes à Genève et 850 dans le monde.
«Si on ne donne pas aux producteurs les moyens de faire du café, ils vont arrêter d’en cultiver et pour nous ce serait une catastrophe»
Que pensez-vous de l’initiative sur les multinationales responsables? C’est une initiative très importante pour laquelle nous ne pouvons nous permettre de nous tromper. Ne réduisons pas la compétitivité de la Suisse.
Comment envisagez-vous l’évolution de votre métier? Nous devons utiliser des technologies telles que la blockchain pour être plus efficaces. Nous avons contribué à créer une start-up à Genève, Farmer Connect, qui met en relation producteurs et consommateurs dans différentes matières premières.
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