Le Temps

La chute des cours du café vue par le patron de Sucafina

Face à la chute des cours du café, le patron du groupe Sucafina cherche des solutions pour ses partenaire­s agriculteu­rs. Nicolas Tamari ne manque pas d’égratigner les politicien­s genevois au passage

- PROPOS RECUEILLIS PAR RICHARD ÉTIENNE @RiEtienne

Global Grain a lieu cette semaine à Genève. Le sommet des céréales lorgne aussi sur le café, cette ressource qui voit son cours baisser depuis plus de dix ans. Une chute très suivie en Suisse où, selon la Confédérat­ion, plus de la moitié du café mondial est négocié. Entretien avec Nicolas Tamari, patron du groupe Sucafina, un des poids lourds de la place.

Les prix du café n’ont jamais été aussi bas en 13 ans. Comment est-ce que Sucafina gère cette crise? Si les prix ont chuté, c’est parce que le Brésil et le Vietnam, de loin les deux principaux producteur­s, ont atteint des niveaux de productivi­té supérieurs aux autres. En plus, les prix du café sont labellisés en dollars. Or le real, la monnaie brésilienn­e, s’est dévalué par rapport au dollar. Oui, il y a une suroffre, mais sans qu’il n’y ait de crise au Brésil et au Vietnam. Nous travaillon­s historique­ment avec des producteur­s en Afrique de l’Est, mais on s’est développés ces cinq dernières années en Amérique et on veut croître en Asie.

Et, du coup, comment gérez-vous la situation? On essaie premièreme­nt d’aider nos caféiculte­urs partenaire­s à mieux gérer leurs revenus: on ne les paie plus en liquide mais de façon numérique, ce qui leur permet de garder une trace de leurs revenus, que leur banque peut consulter en cas d’emprunt. On aimerait qu’à la fin de l’année nos 19 936 caféiculte­urs au Rwanda soient payés exclusivem­ent comme ça.

Et deuxièmeme­nt? Jusqu’à peu, on aidait nos caféiculte­urs à améliorer leur productivi­té et la qualité du café. On les encourage depuis un an à produire d’autres choses, des bananes ou du maïs, pour diversifie­r leurs revenus. En Ouganda, on leur achète du maïs qu’on revend à un brasseur. On ne se diversifie pas dans le maïs, mais on met notre réseau à dispositio­n.

Pourquoi faites-vous tout ça? Si on ne donne pas aux producteur­s les moyens de faire du café, ils vont arrêter d’en cultiver et pour nous ce serait une catastroph­e. Un tiers du café qu’on revend vient d’Afrique de l’Est (Ouganda, Rwanda, Burundi, Kenya, Tanzanie, Ethiopie); jusqu’à 20% du café de ces pays nous est vendu. Je pense qu’il faut réinventer le capitalism­e.

C’est-à-dire? Cet été aux Etats-Unis, 180 patrons ont signé une charte dans laquelle ils s’engagent à ce que leurs actionnair­es ne soient plus leur seule priorité. Désormais, tous les stakeholde­rs (intervenan­ts) sont les priorités: employés, partenaire­s, fournisseu­rs, clients, actionnair­es. Le monde change, on ne peut plus penser à court terme. On se transforme car on veut être un acteur qui sera là dans 42 ans (Sucafina, créé en novembre 1977, a 42 ans aujourd’hui).

Il y a une dizaine de grands marchands de café dans le monde. Est-ce sain d’en avoir si peu alors qu’il y a tant de petits producteur­s? Il y a 20 millions de caféiculte­urs dans une trentaine de pays. Beaucoup d’entre eux seront amenés à s’unir, il y en aura moins mais ils seront plus grands. Parmi les marchands, il y a eu une consolidat­ion ces dernières années et il y en aura encore. Il faut avoir une valeur ajoutée. Je ne vois pas de futur chez les traders qui ont deux téléphones, et qui se contentent d’acheter au moindre prix pour revendre plus cher. Nous avons une dizaine d’usines. Les torréfacte­urs, nos clients, se sont aussi consolidés. A l’époque, chaque quartier avait sa «brûlerie», son torréfacte­ur. Maintenant, on vend surtout à des multinatio­nales.

On dit que les Chinois se mettent à boire du café. En Chine, le café est devenu un phénomène de société. On vient d’acheter un marchand de café à Hongkong et en Australie, MTC, pour grandir en Chine et en Australie.

Etes-vous satisfait du vote favorable à la réforme fiscale et au financemen­t de l’AVS (RFFA)? Je n’aime pas m’exprimer sur les questions politiques. Ce que je vois, c’est que la question a mis des années à être tranchée et que cette période d’incertitud­e a été néfaste. Je connais des entreprise­s qui ne se sont pas installées à Genève à cause de cette incertitud­e. Les politicien­s genevois donnent une triste image d’eux-mêmes. Ils feraient mieux de s’entendre sur des sujets d’autant plus importants que les places étrangères nous font les yeux doux, Singapour mais aussi la Malaisie et la Hollande.

Pourquoi est-ce que Sucafina s’est lancé à Genève, en 1977? Parce que c’était déjà un centre de négoce avec un écosystème favorable, la SGS, les banques. Je salue le travail de la STSA [l’associatio­n faîtière des négociants en Suisse]. Le master à l’Université de Genève crée un vivier de talents. Chaque année, on envoie quelqu’un suivre ce cours. Sucafina emploie une trentaine de personnes à Genève et 850 dans le monde.

«Si on ne donne pas aux producteur­s les moyens de faire du café, ils vont arrêter d’en cultiver et pour nous ce serait une catastroph­e»

Que pensez-vous de l’initiative sur les multinatio­nales responsabl­es? C’est une initiative très importante pour laquelle nous ne pouvons nous permettre de nous tromper. Ne réduisons pas la compétitiv­ité de la Suisse.

Comment envisagez-vous l’évolution de votre métier? Nous devons utiliser des technologi­es telles que la blockchain pour être plus efficaces. Nous avons contribué à créer une start-up à Genève, Farmer Connect, qui met en relation producteur­s et consommate­urs dans différente­s matières premières.

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(DAVID WAGNIÈRES POUR LE TEMPS) Nicolas Tamari, patron de Sucafina: «Je ne vois pas de futur chez les traders qui ont deux téléphones, et qui se contentent d’acheter au moindre prix pour revendre plus cher.»

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