Le Temps

Le cancer du sein tue aussi les hommes

S’il touche essentiell­ement les femmes, le cancer du sein n’épargne pas les hommes. En Suisse, on dénombre une cinquantai­ne de cas par année Mais le taux de mortalité de ces tumeurs est plus élevé de 19% chez les hommes que chez les femmes Comme il est

- MARIE MAURISSE @MarieMauri­sse

Le cancer est devenu une ombre qui plane sur toutes les femmes, y compris les plus jeunes: en 2018, en Suisse, 6000 d’entre elles ont appris qu’elles avaient une tumeur au sein. C’est même devenu la première cause de mortalité pour celles entre 40 et 50 ans, selon l’Office fédéral de la statistiqu­e (OFS). Mais rares sont les personnes qui savent que cette maladie peut toucher aussi les hommes.

Certes, chez eux, l’incidence est beaucoup moins élevée – à tel point que l’OFS n’en mentionne même pas le nombre dans ses tableaux. Mais la base de données Nicer, consacrée au suivi épidémiolo­gique de cette maladie, recense 254 cas entre 2010 et 2014, soit une cinquantai­ne par année. «Cela correspond à environ 1% des cas de cancer du sein chez la femme, tout comme dans les autres pays développés», précise Maurice Matter, médecin-chef dans le service de chirurgie viscérale au Centre hospitalie­r universita­ire vaudois (CHUV).

Davantage de décès

Or, selon une étude américaine parue en septembre dernier dans la revue JAMA Oncology, la mortalité globale de ces cancers est supérieure de 19% chez les hommes par rapport aux femmes. Les auteurs de cette méta-analyse, des oncologues basés à Nashville, ont analysé les dossiers de près de 1,9 million de patients américains touchés par un cancer du sein, dont plus de 16000 hommes. Leur taux de survie est de 46%, contre 60% chez les femmes. Pour les chercheurs, les raisons de cette différence sont doubles: ils évoquent d’abord les caractéris­tiques cliniques de la maladie, mais aussi un moins bon traitement.

Pour Maurice Matter, cette étude donne des pistes intéressan­tes, mais beaucoup d’informatio­ns restent à vérifier. «Une des limites de ces grandes cohortes est par exemple le manque d’informatio­n sur la cause du décès, puisqu’une autopsie n’est pas toujours réalisée. En outre, ajoutet-il, l’hygiène de vie des malades n’est pas précisée, on ne sait pas s’ils étaient fumeurs, etc. Et les aspects génétiques ne sont pas non plus abordés.» Les hommes sont en effet plus nombreux à être porteurs d’une mutation des gènes BRCA1 et 2 qui prédispose au développem­ent de la maladie.

A partir de 60 ans

Ces facteurs de risque n’expliquent probableme­nt pas une surmortali­té de 19% chez les hommes. Une hypothèse est que, chez eux, la tumeur maligne est biologique­ment différente. «Ils ont plus souvent un cancer de type carcinome canalaire», précise Maurice Matter. Celui-ci, davantage lié aux hormones, n’est pas ciblé par les nouveaux traitement­s très efficaces, qui fonctionne­nt donc mieux chez la femme.

Selon les spécialist­es, le cancer du sein touche en général des hommes à partir de 60 ans. Tout comme les femmes, ceux-ci sentent une petite boule dans leur poitrine, et se tournent vers leur médecin traitant. Mais la détection peut être plus tardive, et la maladie moins bien acceptée, tant elle est peu connue. «Il subsiste une stigmatisa­tion des hommes victimes d’un cancer du sein, connu comme celui «de la femme», regrette Maurice Matter. L’entourage met parfois du temps à accepter la situation. Au niveau médical, il est également délicat de prendre en charge ces patients masculins dans un service de gynécologi­e…»

Le nombre de cas étant faible, aucune entreprise pharmaceut­ique n’a à ce jour pour projet de développer un traitement dédié aux hommes. Aux Etats-Unis, la Food and Drug Administra­tion a émis de nouvelles recommanda­tions en matière d’essais cliniques, spécifiant que ceux-ci devraient inclure des hommes, y compris dans le cas de molécules actives contre le cancer du sein.

En Europe, l’Organisati­on pour la recherche et le traitement du cancer a émis le même souhait. Selon une étude publiée l’année dernière dans les Annales de l’oncologie, et réalisée sur 1822 cas soignés entre 1996 et 2010, «un homme sur trois souffrant d’un cancer du sein ne reçoit pas le traitement médical adéquat».

«Il subsiste une stigmatisa­tion des hommes victimes d’un cancer du sein, connu comme celui «de la femme»

MAURICE MATTER, MÉDECIN-CHEF, SERVICE DE CHIRURGIE VISCÉRALE, CHUV

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(LUIS DIAZ DEVESA) Nettement moins fréquent que chez les femmes, le cancer du sein chez les hommes est souvent moins bien accepté.

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