Pour le PS, l’heure des solutions avec la droite modérée
La démission de Christian Levrat survient trois semaines après la cuisante défaite de son parti, qui n’a atteint que 16,8% de part électorale, soit une baisse de 2%, un résultat historiquement bas. Plus inquiétant: le Parti socialiste, s’il a limité les dégâts au Conseil national, est en passe d’essuyer une débâcle au Conseil des Etats, la chambre où il avait réussi à trouver d’importants compromis avec le PDC durant la dernière législature. Il y a déjà perdu trois sièges, et ce n’est peut-être pas fini.
C’est sûr, Christian Levrat porte sa part de responsabilité dans ce revers. Dans le contexte d’un «tsunami vert» programmé, il a échoué à rendre crédible son «plan Marshall pour l’écologie», prévoyant des investissements par milliards. Assurément, il n’a pas suffisamment thématisé les aspects sociaux de la transition énergétique.
Cela dit, il est trop facile de faire porter toute la responsabilité de ce revers à Christian Levrat. Souvent, ce sont des luttes intestines fratricides qui ont été fatales aux camarades, comme à Zurich, à Neuchâtel, ou dans le canton de Vaud où la personnalité d’Ada Marra s’est avérée trop clivante pour conserver le siège au Conseil des Etats.
Au terme de son règne, le Fribourgeois affiche un bilan contrasté. A l’aune européenne, il peut se targuer d’avoir su profiler son parti de manière à ce qu’il reste la deuxième force du pays. Alors qu’en France, en Allemagne ou en Autriche, les socialistes se sont effondrés. En Suisse, le PS a remporté d’éclatantes victoires, mais le plus souvent dans un rôle d’opposition. Il a contré avec succès la troisième réforme de la fiscalité des entreprises, de même que deux initiatives de l’UDC sur l’expulsion des étrangers criminels et sur les «juges étrangers».
C’est là tout le défi que devra relever la successeure de Christian Levrat – puisque tout le monde réclame désormais une femme à la tête du parti. Que ce soit sur le climat ou dans la question européenne, le PS devra former un front uni avec la droite modérée face à une UDC aussi climatosceptique qu’europhobe. Plus souvent que ces dernières années, il devra redevenir une force de proposition capable de nouer des compromis dans les intérêts majeurs du pays. Pour oublier cette législature à l’issue de laquelle les principaux chantiers restent ouverts.
Christian Levrat affiche un bilan contrasté
Politologue et ancien membre du PS, Nenad Stojanovic dresse le bilan de l’ère Levrat
Professeur de science politique à l’Université de Genève, Nenad Stojanovic est également affilié au Parti socialiste. Au lendemain de l’annonce de la démission de son président suisse, Christian Levrat (FR), et quelques semaines après des élections fédérales difficiles pour le camp rose, il s’exprime sur la situation actuelle au sein du parti.
Comment jugez-vous le bilan de Christian Levrat sur ces douze dernières années? Sur la base des résultats électoraux, on ne peut pas dire que son bilan soit très positif. Le PS a perdu des points par rapport à la situation héritée par Christian Levrat en 2008. Le parti est désormais descendu à 16,8% de voix aux élections au Conseil national, le résultat le plus bas depuis l’introduction de la proportionnelle en 1919. En tant que président, il a cependant bien assuré son rôle. En se positionnant au centre du PS, il est parvenu à garder le parti et ses différentes ailes unis, ce qui n’était pas gagné d’avance. Sous la Coupole, il a aussi fait preuve d’une grande intelligence tactique pour négocier des compromis avec les différents groupes parlementaires.
Des erreurs ont-elles été commises par le PS lors de la dernière campagne? Le PS est bien ancré à gauche, avec un savoir-faire en matière environnementale tout aussi solide que celui des Verts, voire davantage. L’électorat s’est plus largement orienté vers ces derniers, c’est peut-être injuste mais il faut en tirer des conclusions. Dans le futur, les socialistes devront réfléchir au poids à accorder aux différentes thématiques et éventuellement laisser le «lead» sur l’environnement aux Verts – tout en combattant à leurs côtés lors des votations sur le sujet – pour se focaliser davantage sur la lutte contre les inégalités. Il faut que le parti choisisse ses priorités et se positionne de manière plus claire sur les questions de justice sociale. J’ajoute que si le résultat des élections ne parle pas en faveur de Christian Levrat, il serait faux de lui attribuer une trop grande influence dans cette déconvenue. En Suisse, le président d’un parti ne dicte pas sa loi aux sections cantonales.
De quel type de profil le parti a-t-il désormais besoin pour mener ses troupes? Si Cédric Wermuth (PS/AG) était une femme, ce serait la figure idéale. On peut aussi imaginer une coprésidence. Mais quelle que soit la solution retenue, une présence féminine me paraît nécessaire. Au cours de ces 30 dernières années, le score le plus élevé – 23,3% – a été atteint en 2003, sous la présidence d’une femme, Christiane Brunner! Cela doit absolument être quelqu’un qui conserve un ancrage clair et solide à gauche, sans se faire trop influencer. Ni par les syndicats, ni par l’aile libérale du parti. Le PS a besoin d’un nouveau profil combatif et militant, qui recentre les priorités du groupe sur ses thématiques fortes comme l’AVS, la baisse des primes maladie ou encore le combat contre la pauvreté.
■