Le Temps

Pour le PS, l’heure des solutions avec la droite modérée

- MICHEL GUILLAUME @mfguillaum­e

La démission de Christian Levrat survient trois semaines après la cuisante défaite de son parti, qui n’a atteint que 16,8% de part électorale, soit une baisse de 2%, un résultat historique­ment bas. Plus inquiétant: le Parti socialiste, s’il a limité les dégâts au Conseil national, est en passe d’essuyer une débâcle au Conseil des Etats, la chambre où il avait réussi à trouver d’importants compromis avec le PDC durant la dernière législatur­e. Il y a déjà perdu trois sièges, et ce n’est peut-être pas fini.

C’est sûr, Christian Levrat porte sa part de responsabi­lité dans ce revers. Dans le contexte d’un «tsunami vert» programmé, il a échoué à rendre crédible son «plan Marshall pour l’écologie», prévoyant des investisse­ments par milliards. Assurément, il n’a pas suffisamme­nt thématisé les aspects sociaux de la transition énergétiqu­e.

Cela dit, il est trop facile de faire porter toute la responsabi­lité de ce revers à Christian Levrat. Souvent, ce sont des luttes intestines fratricide­s qui ont été fatales aux camarades, comme à Zurich, à Neuchâtel, ou dans le canton de Vaud où la personnali­té d’Ada Marra s’est avérée trop clivante pour conserver le siège au Conseil des Etats.

Au terme de son règne, le Fribourgeo­is affiche un bilan contrasté. A l’aune européenne, il peut se targuer d’avoir su profiler son parti de manière à ce qu’il reste la deuxième force du pays. Alors qu’en France, en Allemagne ou en Autriche, les socialiste­s se sont effondrés. En Suisse, le PS a remporté d’éclatantes victoires, mais le plus souvent dans un rôle d’opposition. Il a contré avec succès la troisième réforme de la fiscalité des entreprise­s, de même que deux initiative­s de l’UDC sur l’expulsion des étrangers criminels et sur les «juges étrangers».

C’est là tout le défi que devra relever la successeur­e de Christian Levrat – puisque tout le monde réclame désormais une femme à la tête du parti. Que ce soit sur le climat ou dans la question européenne, le PS devra former un front uni avec la droite modérée face à une UDC aussi climatosce­ptique qu’europhobe. Plus souvent que ces dernières années, il devra redevenir une force de propositio­n capable de nouer des compromis dans les intérêts majeurs du pays. Pour oublier cette législatur­e à l’issue de laquelle les principaux chantiers restent ouverts.

Christian Levrat affiche un bilan contrasté

Politologu­e et ancien membre du PS, Nenad Stojanovic dresse le bilan de l’ère Levrat

Professeur de science politique à l’Université de Genève, Nenad Stojanovic est également affilié au Parti socialiste. Au lendemain de l’annonce de la démission de son président suisse, Christian Levrat (FR), et quelques semaines après des élections fédérales difficiles pour le camp rose, il s’exprime sur la situation actuelle au sein du parti.

Comment jugez-vous le bilan de Christian Levrat sur ces douze dernières années? Sur la base des résultats électoraux, on ne peut pas dire que son bilan soit très positif. Le PS a perdu des points par rapport à la situation héritée par Christian Levrat en 2008. Le parti est désormais descendu à 16,8% de voix aux élections au Conseil national, le résultat le plus bas depuis l’introducti­on de la proportion­nelle en 1919. En tant que président, il a cependant bien assuré son rôle. En se positionna­nt au centre du PS, il est parvenu à garder le parti et ses différente­s ailes unis, ce qui n’était pas gagné d’avance. Sous la Coupole, il a aussi fait preuve d’une grande intelligen­ce tactique pour négocier des compromis avec les différents groupes parlementa­ires.

Des erreurs ont-elles été commises par le PS lors de la dernière campagne? Le PS est bien ancré à gauche, avec un savoir-faire en matière environnem­entale tout aussi solide que celui des Verts, voire davantage. L’électorat s’est plus largement orienté vers ces derniers, c’est peut-être injuste mais il faut en tirer des conclusion­s. Dans le futur, les socialiste­s devront réfléchir au poids à accorder aux différente­s thématique­s et éventuelle­ment laisser le «lead» sur l’environnem­ent aux Verts – tout en combattant à leurs côtés lors des votations sur le sujet – pour se focaliser davantage sur la lutte contre les inégalités. Il faut que le parti choisisse ses priorités et se positionne de manière plus claire sur les questions de justice sociale. J’ajoute que si le résultat des élections ne parle pas en faveur de Christian Levrat, il serait faux de lui attribuer une trop grande influence dans cette déconvenue. En Suisse, le président d’un parti ne dicte pas sa loi aux sections cantonales.

De quel type de profil le parti a-t-il désormais besoin pour mener ses troupes? Si Cédric Wermuth (PS/AG) était une femme, ce serait la figure idéale. On peut aussi imaginer une coprésiden­ce. Mais quelle que soit la solution retenue, une présence féminine me paraît nécessaire. Au cours de ces 30 dernières années, le score le plus élevé – 23,3% – a été atteint en 2003, sous la présidence d’une femme, Christiane Brunner! Cela doit absolument être quelqu’un qui conserve un ancrage clair et solide à gauche, sans se faire trop influencer. Ni par les syndicats, ni par l’aile libérale du parti. Le PS a besoin d’un nouveau profil combatif et militant, qui recentre les priorités du groupe sur ses thématique­s fortes comme l’AVS, la baisse des primes maladie ou encore le combat contre la pauvreté.

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PROFESSEUR DE SCIENCE POLITIQUE À L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE
NENAD STOJANOVIC PROFESSEUR DE SCIENCE POLITIQUE À L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE

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