Impeachment, Acte II
Lors du scandale du Watergate, les auditions de l’entourage de Richard Nixon avaient été marquantes. Les révélations sur l’affaire ukrainienne vont-elles autant passionner les foules?
La procédure d’impeachment lancée contre Donald Trump entre dans une nouvelle phase ce mercredi, celle des auditions publiques, transmises à la télévision. Un grand moment de politique-spectacle dont les Américains sont friands. C’est un peu le Superbowl de la politique. Mais une question demeure: les Américains vont-ils autant se passionner pour ce grand déballage que lors du scandale du Watergate, en 1973?
John Dean face au public
Le 27 juin 1973, l’audition publique de John Dean devant une commission du Congrès avait tenu l’Amérique en haleine. Conseiller juridique de la Maison-Blanche, il s’était déclaré coupable de la dissimulation de faits importants à propos du vol de documents dans l’immeuble du Parti démocrate. Il est surtout le premier à avoir dénoncé l’implication de Richard Nixon. Ces Watergate hearings ont été suivies par des millions de foyers américains, comme un feuilleton haletant aux nombreux rebondissements. En juillet 1973, Alexander Butterfield, alors directeur de la Federal Aviation Administration, a publiquement dévoilé l’existence d’un système d’écoutes sophistiqué mis en place à la Maison-Blanche, devant des téléspectateurs ébahis et consternés. Le président Nixon a d’abord nié, puis a dû l’admettre une fois les enregistrements secrets effectués dans le Bureau ovale rendus publics. C’est ce qui l’a poussé à démissionner, avant que le Sénat n’ait à se prononcer sur sa destitution.
Ces auditions ont donc eu un poids immense sur la suite des opérations. Celles à venir risquent d’être moins marquantes. Du coup de fil du 25 juillet entre Donald Trump et son homologue ukrainien, beaucoup de choses ont déjà été dites, écrites, décryptées et analysées. La transcription de l’échange a été rendue publique (en partie caviardée toutefois) et, sur la douzaine de témoins déjà entendus à huis clos par les démocrates qui mènent l’enquête, il y a eu des fuites, délibérées ou non, dans les médias. Le point crucial de l’affaire reste celui-ci: Donald Trump a-t-il bien utilisé une aide militaire de 400 millions de dollars comme levier pour pousser le président Volodymyr Zelensky à s’intéresser de près à Hunter Biden, le fils du candidat démocrate Joe Biden, grâce notamment à une diplomatie parallèle menée par l’avocat Rudy Giuliani?
La culture des tabloïds
Plusieurs témoins l’affirment, parfois en revenant sur leur première décision. La procédure a été lancée le 24 septembre, la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, qualifiant le recours à une puissance étrangère pour la campagne présidentielle de 2020 de «trahison» et d’«abus de pouvoir». La Maison-Blanche a empêché des auditions, preuve de la sensibilité de l’affaire. Des républicains ont insisté pour que le lanceur d’alerte à l’origine de l’affaire, dont l’identité est protégée, témoigne publiquement. La requête a été balayée par Adam Schiff, le président de la Commission du renseignement de la Chambre des représentants.
Les deux situations sont très différentes. Twitter et Facebook n’existaient pas en 1973. Et Donald Trump n’est pas Richard Nixon: en 2019, le spectacle de l’impeachment a débuté bien avant les auditions publiques, avec un président, ex-star de la téléréalité, vitupérant, qui accuse sur Twitter les démocrates de complot et de trahison, et réclame la démission d’Adam Schiff.
Donald Trump excelle aussi quand il s’agit de créer son propre narratif.
«C’est la culture des tabloïds et des nouvelles sensationnalistes, et Donald Trump a appris à se vanter de choses non étayées par des faits. Si vous en diffusez suffisamment, vous parvenez à embrouiller les gens, souligne Douglas Brinkley, professeur spécialiste de la fonction présidentielle, dans le Los Angeles Times. Ce sont deux mondes différents. Dans le Watergate des années 1970, le bipartisme fonctionnait au Capitole et les gens allaient à des dîners ensemble. Il y avait une sorte de Washington officiel contre Richard Nixon. Aujourd’hui, vous avez les médias qui s’alignent sur un camp ou sur l’autre, et il règne une sorte de confusion généralisée.»
Abreuvés par trop d’informations, déstabilisés par certaines manipulations, les Américains pourront au moins, grâce aux auditions publiques – qui démarrent avec William Taylor, chargé d’affaires américain à Kiev, et George Kent, un haut responsable du Département d’Etat spécialiste de l’Ukraine – se faire leur propre idée de la gravité de l’affaire, sans le miroir parfois déformant ou partiel qu’offrent les réseaux sociaux ou certains médias. John Dean veut y croire. Lors d’un récent débat à Union City (Californie), le lanceur d’alerte du Watergate a eu ces mots: «Je pense que le président actuel fera passer Richard Nixon pour un enfant de choeur.»
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Les Américains pourront au moins, grâce aux auditions publiques, se faire leur propre idée de la gravité de l’affaire, sans le miroir déformant des réseaux sociaux