Un salut pour la vie sauve
Sur les îles écossaises et dans les régions sauvages du mainland, les conducteurs se saluent lorsqu’ils se croisent. Une pratique sans doute née des single tracks, les voies uniques qui pullulent dans ce pays au relief accidenté. Lorsqu’un conducteur aperçoit un autre véhicule sur ces voies uniques, il se glisse dans un passing place, renflement de la chaussée, pour le laisser passer.
Toute la science de cette pratique consiste à savoir qui va s’escamoter le plus rapidement pour dégager l’accès à son vis-à-vis. Et – vous me voyez venir – la conductrice genevoise que je suis est épatée par la politesse, pour ne pas dire la gentillesse, des Ecossais qui se précipitent sur ces places de transit et vous ouvrent la route en souriant.
Avec le temps, on apprend à être vif sur l’escamotage et c’est une petite victoire que de permettre à l’autre de rouler sans s’arrêter. Quoi qu’il en soit, jamais personne n’oublie de se saluer de l’index levé, de la main ou d’un coup de phare à la nuit tombée, et ce salut réjouissant persiste lorsque la chaussée reprend sa morphologie à double voie.
Pourquoi ce salut me réjouit-il tant? Déjà, parce qu’il dit à l’arrivant: «Je t’ai vu, je te calcule, je ne vais pas te rentrer dedans.»
Ce qui est rassurant car, vu la fréquence des «sommets aveugles» dans ces paysages tourmentés, se voir relève parfois plus de la divination que de l’observation.
Ensuite, ce salut me réjouit aussi car il ajoute: OK, je conduis une voiture, un bolide puissant ou une titine vintage, mais je ne suis pas mon engin, je reste humain, et jamais je ne ferai passer mon tacot et mon ego avant la personne que j’ai en face de moi. Cette remarque est d’autant plus vraie que, en Ecosse, les conducteurs saluent également les piétons qui cheminent sur le bascôté de la chaussée.
Je vous entends soupirer que, décidément, je fais une fixette sur les méchants conducteurs versus les adorables piétons (ou les gentils cyclistes!). Vous avez raison: je fais une fixette car, 4x4 et SUV obligent, dans nos régions saturées, j’ai souvent la pétoche et personne ne pourra me dire que le rapport de force n’est pas à l’avantage des plus gros.
Quand je constate comment les Ecossais restent conscients de ce rapport de force et demeurent en toute circonstance des conducteurs d’une rare élégance, je rêve d’importer ce Scottish style dans nos contrées.
«Je t’ai vu, je te calcule, je ne vais pas te rentrer dedans»