Le Temps

Le danger de la guerre des chapelles

Sur le départ, Christian Levrat laisse un parti qui panse ses plaies après sa lourde défaite. A Zurich, le conflit entre les divers courants menace de s’enflammer

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

C’était attendu et cela s’est confirmé: Christian Levrat a annoncé son départ de la présidence du Parti socialiste pour le mois d’avril 2020. Certes, il vient d’être réélu dans un fauteuil en tant que conseiller aux Etats fribourgeo­is, mais il se démet de son mandat sur une lourde défaite. Chutant à 16,8% de part électorale, le PS a réalisé le 20 octobre dernier son plus bas score depuis l’introducti­on de la proportion­nelle en 1919. S’il sauve les meubles au Conseil national, il est en passe de vivre une véritable débâcle au Conseil des Etats, la Chambre haute où il avait pu pactiser avec le PDC pour contrer la droite dure majoritair­e au Conseil national.

Christian Levrat avait accédé à la présidence en 2008, alors qu’il n’avait que 37 ans. S’exprimant dans le Blick et La Liberté, il insiste sur le fait que sa démission, prévue depuis le début de cette année, n’a rien à voir avec la récente défaite électorale. Il confie que «le pouvoir use» et «sa santé en a souffert».

Christian Levrat le rassembleu­r

A l’heure du bilan, les avis sont très partagés. Au coeur de l’appareil, le chef du groupe Roger Nordmann se montre logiquemen­t le plus laudatif. «Non seulement Christian Levrat a su contrer la passoire fiscale que constituai­t la réforme de la fiscalité des entreprise­s, mais il a su y apporter une réponse par un nouveau projet (RFFA) renflouant l’AVS.» De son côté, le Valaisan Mathias Reynard souligne son côté rassembleu­r: «Il a su tenir le parti et éviter une guerre de chapelles entre les divers courants du parti», relève-t-il.

Joueur d’échecs au sens stratégiqu­e pointu, Christian Levrat a souvent été considéré comme le parlementa­ire le plus influent sous la coupole fédérale. Mais ces dernières années, son étoile avait pâli, y compris dans ses propres troupes. Un vent de fronde s’est levé, notamment au sein de la nouvelle génération qu’incarne la Jeunesse socialiste (JS). A peine la démission de Christian Levrat connue, celle-ci a formulé des revendicat­ions pour sa succession qui sonnent comme un réquisitoi­re pour le président sortant. «Il est désormais temps de rajeunir la direction du parti et de renforcer la visibilité des femmes», déclare-t-elle dans un communiqué. Les jeunes attendent désormais «des alternativ­es courageuse­s plutôt que des compromis paresseux.» Bref, «une force combative en faveur du progrès, et non pas un parti qui se contente d’administre­r les acquis sociaux», résume le nouveau conseiller national Jon Pult (GR).

«Trop dogmatique et étatiste»

A Zurich, dans le canton où le PS a essuyé son plus grave revers, soit une baisse de 5% de part électorale, un conflit a vite éclaté quant à l’orientatio­n future du parti. Locomotive électorale au point d’être élu au premier tour au Conseil des Etats, Daniel Jositsch s’est plaint du manque de considérat­ion accordée à l’aile réformiste du parti, même si celle-ci est sortie très affaiblie des élections. Selon lui, il faut éviter que les électeurs centristes du PS ne désertent pour aller se réfugier chez les Vert’libéraux. Cette crainte n’est cependant pas justifiée dans les faits, qui montrent que les électeurs du PS ont davantage opté pour les Verts. Ce qui fait dire à l’aile gauche du parti qu’il faut au contraire «unir dans un même combat les questions sociale, climatique et féministe». Mathias Reynard acquiesce: «Il faut éviter une dérive sociale libérale bobo et thématiser les problèmes concrets des gens, comme la souffrance au travail et la lourdeur des primes maladie.»

Une dispute stérile aux yeux de Roger Nordmann: «Le PS ne restera fort que s’il sait intégrer toutes ses mouvances. S’il tombe dans le sectarisme, il mourra.»

Un parti d’universita­ires

Au fil des années, le PS est devenu un parti d’universita­ires qui n’a plus aucun travailleu­r ni artisan dans ses sphères dirigeante­s. Mais Christian Levrat, en ne cessant d’exiger un renforceme­nt des mesures d’accompagne­ment pour protéger les salaires suisses dans le dossier européen, est resté très à l’écoute des syndicats qui ne veulent rien savoir de l’accord-cadre avec l’UE. Trop? C’est en tout cas ce que lui reproche la droite, notamment le vice-président du PLR Philippe Nantermod. «Le PS est resté bloqué à l’époque de l’URSS en se montrant trop dogmatique. Il s’accroche à un étatisme parfois totalement anachroniq­ue», déplore ce dernier. «J’attends un PS plus constructi­f, notamment pour sauver la voie bilatérale», ajoute-t-il.

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(BÉATRICE DEVÈNES POUR LE TEMPS) Christian Levrat. Sa démission n’a rien à voir avec la récente défaite électorale, affirme le président du PS.

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