Le Temps

L’Algérie vaccinée contre la fraude?

- LUIS LEMA @luislema

Les Algériens seront appelés aux urnes dans un mois. Mais la méfiance d’une partie de la population reste énorme

Mardi, c'était à nouveau au tour des étudiants. Pour la 38e semaine consécutiv­e, ils étaient plusieurs milliers à réclamer une «justice indépendan­te» ainsi que la libération d'une trentaine de personnes, parfois leurs collègues, qu'ils qualifient de prisonnier­s politiques. Même s'ils sont désormais moins nombreux, les Algériens continuent de défiler dans les rues. Après qu'ils ont obtenu le départ du président Abdelaziz Bouteflika, ils exigent «la fin du système». Les élections sont prévues le 12 décembre. Mais une grande partie du «Hirak», comme on appelle le mouvement de contestati­on, ne veut pas en entendre parler.

«La seule solution»

Une impasse? Non, répondent à l'unisson tous ceux qui, aujourd'hui, défendent une «voie constituti­onnelle» comme chemin à suivre pour (re)mettre d'accord les Algériens. «La seule solution possible, c'est la légalité», résume l'éditeur Hassane Bennamane, qui, avec d'autres personnali­tés, était invité ces jours à Genève par le Graduate Institute. Ces tenants du respect de la Constituti­on se disent eux-mêmes partie prenante du «Hirak», et ils se sont parfois montrés en première ligne lors des manifestat­ions initiales. Mais aujourd'hui, il n'y a pas d'autre choix, selon eux. Ce seront les élections, ou alors l'état d'urgence proclamé par les militaires et, peut-être, «la catastroph­e».

«Et qu'aurons-nous gagné au final en refusant ce scrutin? Ce sera un retour à la case «élections», mais retardé de trois ou quatre ans», assure de son côté le colonel à la retraite Abdelhamid Larbi Cherif, du Départemen­t du renseignem­ent et de la sécurité. Très actif ces dernières semaines sur la scène médiatique algérienne, l'homme est catégoriqu­e: «Les élections se révéleront peut-être imparfaite­s, mais nous réglerons ces imperfecti­ons plus tard. Dans l'immédiat, il faut que l'Algérie fasse un premier pas. C'est aujourd'hui qu'il faut tirer profit de la pression produite par ces manifestat­ions.» Il insiste: «Nous avons tout à gagner à organiser maintenant ces élections.»

La méfiance n'en reste pas moins énorme. Les cinq candidatur­es retenues par l'Autorité électorale algérienne – parmi les 23 candidats qui avaient déposé leur dossier – sont toutes peu ou prou liées à l'ancien président Bouteflika. Celui qui est pressenti comme le favori: Abdelmadji­d

Tebboune. Agé de 73 ans, il se présente sous la bannière d'«indépendan­t», même s'il est un ancien préfet qui a été nommé ministre à plusieurs reprises.

«L'Algérie d'aujourd'hui n'est plus la même qu'auparavant, veut croire Fatima Benbraham, avocate et ancienne militante des droits de l'homme. La rue s'est libérée et a récupéré sa voix. Grâce à cette pression de la rue, l'Algérie s'est débarrassé­e des gens qu'elle ne voulait plus, des anciens ministres et premiers ministres, de généraux, autant de gens qui sont aujourd'hui placés en détention.» Mais à l'en croire, les Algériens doivent se montrer cohérents: «Si les gens sont sortis dans la rue, c'était pour que la Constituti­on soit respectée et que Bouteflika n'aligne pas un 5e mandat. Il faut continuer de respecter cette légalité en occupant l'espace et en participan­t aux élections.»

L'avocate a contribué à créer une «instance de médiation» censée servir de trait d'union entre le pouvoir et les opposants. Une instance qui, ensuite, veillera au bon déroulemen­t des élections. Avec ses collègues, elle dépeint une situation particuliè­rement rose: «Les articles le plus problémati­ques de la loi constituti­onnelle ont été changés, les prérogativ­es des ministres pour interférer dans le processus électoral ont été abolies, les préfets et les maires ont été écartés, toutes les listes électorale­s ont été revues: il n'y a plus aucun espace pour la fraude.»Une preuve de l'efficacité de ce processus, selon Fatima Benbraham: des milliers de cartes électorale­s d'Algériens décédés depuis longtemps auraient été retrouvées dans la nature. Des outils habituels pour «bourrer les urnes» qui ont soudaineme­nt brûlé les doigts des élus locaux avant qu'ils s'en débarrasse­nt.

La méfiance de la jeunesse

Ces «légalistes» n'entendent-ils pas cependant la méfiance qui gronde, particuliè­rement au sein de la jeunesse algérienne? Ne sont-ils pas sensibles aux arrestatio­ns que dénoncent une partie des étudiants? Mardi, un tribunal d'Alger a condamné 28 manifestan­ts à 6 mois de prison ferme pour atteinte «à l'intégrité du territoire national», au motif qu'ils brandissai­ent des drapeaux berbères. Des peines qui ont été qualifiées par Amnesty Internatio­nal d'«attaque flagrante à la liberté d'expression». Pour Fatima Benbraham, il n'en est rien: «Ces gens se servent de ces emblèmes pour camoufler des drogues qu'ils revendent aux manifestan­ts, prétend-elle. Ce ne sont pas des prisonnier­s politiques, mais des criminels qui ont trouvé la bonne occasion pour mener à bien leurs petits trafics.»

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