Le Temps

Des syndics vaudois en colère

Les communes vaudoises de Crans-près-Céligny et de Rolle refusent de payer leur facture sociale et en invitent d’autres à faire de même. Leurs syndics, Robert Middleton et Denys Jaquet, entament des procédures contre le canton pour anticonsti­tutionnali­té

- AÏNA SKJELLAUG @AinaSkjell­aug

Depuis décembre dernier, la tension est montée d’un cran entre les communes vaudoises et le canton. Rappelez-vous: l’année passée au moment de boucler leur budget, certaines communes devaient se serrer la ceinture pour ne pas avoir à annoncer de hausse d’impôts. En cause, les charges exigées par l’Etat, toujours plus importante­s. En particulie­r, la facture sociale, transférée aux communes, recouvrant l’aide aux personnes âgées, aux assurés maladie, aux chômeurs en fin de droits, aux handicapés, aux familles à faibles revenus et aux jeunes étudiants.

«Madame la ministre, je ne suis pas en mesure de payer votre facture sociale, qu’est-ce que je fais?»

DENYS JAQUET, SYNDIC DE ROLLE

Cette année, deux syndics montent une fronde contre le canton en refusant de payer cette facture sociale. Ils invitent les autres syndics à faire de même. «Nous lançons un mouvement de retrait des communes de la facture sociale», annoncent Robert Middleton et Denys Jaquet, syndics respective­ment de Crans-près-Céligny et de Rolle. «Nous questionno­ns la constituti­onnalité du système actuel, qui ne garantit pas l’autonomie des communes. La Constituti­on prévoit que les communes soient autonomes dans la perception des impôts, mais aujourd’hui le canton leur impose des charges qui ne devraient pas leur incomber et les appauvriss­ent ainsi année après année.»

Les deux syndics ne remettent pas en question l’importance de la péréquatio­n financière, qui sert à atténuer les inégalités des charges fiscales consécutiv­es aux différence­s de capacités contributi­ves entre communes. «Le système de péréquatio­n horizontal­e entre les communes est justifié, mais la facture sociale n’entre pas dans ses objectifs de redistribu­tion.» Ils annoncent qu’ils entament des procédures judiciaire­s contre le canton pour contester ce système.

Les deux communes qu’ils représente­nt sont relativeme­nt riches, avec un taux d’imposition de 56% pour le village de Crans-près-Céligny et de 59,5% pour la ville de Rolle. C’est pourquoi ils sont les premiers à se soulever contre le canton: selon eux, «plus on a de puissance financière, plus on est appelé à la caisse».

«A Rolle, on va recevoir 2 millions de francs de la redistribu­tion de fonds de la RFFA [le paquet Réforme fiscale et financemen­t de l’AVS, accepté en mai dernier par les Suisses], mais ce que l’on doit au canton, notamment à cause de la facture sociale, se monte à 2,1 millions.

On ferait donc mieux de refuser l’aide fédérale», démontre Denys Jaquet. «J’aurais dû augmenter les impôts de sept points cette année. J’ai demandé quatre points à mon Conseil communal et, par geste de frustratio­n, il a décidé de ne rien augmenter du tout! Aujourd’hui, je m’adresse à la ministre Béatrice Métraux, responsabl­e des communes: Madame, je ne suis pas en mesure de payer votre facture sociale, qu’est-ce que je fais?»

En attendant, les communes sont obligées de geler leurs investisse­ments. A Rolle, de nouveaux plans de quartier, la transforma­tion de la société Schenk et huit nouvelles classes demandées par le canton ne peuvent pour l’instant pas être financés.

Les communes dans les chiffres rouges

Avec Robert Middleton et Denys Jaquet, avons-nous affaire à deux frondeurs isolés ou faut-il craindre que leur action fasse tache d’huile? Claudine Wyssa, présidente de l’Union des communes vaudoises, ne peut exclure que d’autres communes se sentent également concernées. «Il s’agit d’un coup politique pour afficher leur insatisfac­tion, et montrer que le système les pénalise. Mais personne ne pourra les dispenser de payer, au même cas que vous êtes tenu de payer votre assurance maladie, que cela vous plaise ou non. Ces charges sont dues par la loi.»

Robert Middleton sent que son affront va faire des émules: «Je peux vous citer une trentaine de communes qui paient 2000 francs par habitant pour la facture sociale, c’est énorme, assène-t-il. Aujourd’hui, ce n’est plus le canton qui se trouve dans les chiffres rouges, mais les communes. Je ne comprends pas que le Conseil d’Etat ne commence pas à prendre en compte ce phénomène.» Un remaniemen­t de la facture sociale est prévu en 2022, mais les deux syndics annoncent déjà qu’ils n’accepteron­t rien d’autre qu’une reprise à 100% de la facture sociale par le canton.

Dans la même veine que Claudine Wyssa, la ministre Béatrice Métraux répond qu’en applicatio­n de la loi, toutes les communes doivent payer leurs charges péréquativ­es, et que si certaines connaissen­t des difficulté­s, des aménagemen­ts sont possibles. «Il faut également relever que ces deux communes ont des taux d’imposition qui sont nettement plus bas que la moyenne, cela alors qu’elles ont toutes été informées en 2017 déjà de l’entrée en vigueur anticipée de la RIE III. Dans le cas de Rolle, ses rentrées fiscales dépendent beaucoup des grandes entreprise­s internatio­nales présentes sur son sol, ce qui influence également la participat­ion de la commune à la péréquatio­n.»

La ministre rappelle que le périmètre des discussion­s en cours sur la reprise totale ou partielle de la facture sociale a été négocié avec les associatio­ns faîtières des communes. «Nous avons affaire à une politique publique qui doit être repensée et acceptée par tous, et cela prend évidemment du temps. Mais l’éventualit­é d’une reprise totale ou partielle de la facture sociale est à l’étude.»

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(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) Denys Jaquet, syndic de Rolle, et Robert Middleton, syndic de Crans-près-Céligny.

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