La Française des jeux, une loterie boursière
C’est le 20 novembre que le cours exact de l’action de la Française des jeux, la société publique française de loterie et de paris en cours de privatisation, sera connu. Mais déjà les analystes s’inquiètent
Lancée le 7 novembre, la privatisation de la majorité du capital de la Française des jeux sera clarifiée à partir du 20 novembre. C’est à cette date que le cours officiel des actions réservées aux particuliers, mais aussi aux professionnels (buralistes, marchands de presse, etc.) et aux salariés de l’entreprise sera fixé, dans une fourchette entre 16 et 19,50 euros. L’Etat français, aujourd’hui actionnaire de cette société émettrice de loteries et de paris, ne gardera alors plus que 20% du capital, contre 72% actuellement.
On connaît l’objectif financier du gouvernement pour les 99,3 millions d’actions qui seront mises en vente: faire rentrer dans les caisses au moins 1,7 milliard d’euros, et si possible dépasser la barre symbolique des 2 milliards. Une manne bienvenue, pour combler le déficit creusé par les concessions sociales faites aux «gilets jaunes». Le problème est que, depuis l’ouverture de la vente, les analystes ont commencé à décortiquer le dossier et à émettre des opinions défavorables sur cette privatisation.
«Enjeu de santé publique»
Première critique: la participation publique, même ramenée à 20%, continuera d’entraver la direction de la future loterie privée dont les dirigeants devront être agréés par les pouvoirs publics, sachant qu’en plus un commissaire chargé de veiller au respect de la législation des jeux sera nommé. Ce qui pourrait contraindre le développement de l’entreprise, en particulier si celle-ci cherche à nouer des partenariats à l’étranger ou à mettre de nouveaux produits sur le marché.
Deuxième critique: la Française des jeux, une fois privatisée, pourrait se voir infliger de nouvelles réglementations et de nouvelles taxes, pesant sur son chiffre d’affaires et sa marge bénéficiaire. En 2018, la FDJ a dégagé 1,8 milliard d’euros de revenus (pour un total de 16 milliards d’euros de paris), avec une marge opérationnelle de 17,5% (315 millions d’euros) et un résultat net de 170 millions d’euros. Comment s’assurer, par exemple, que les obligations imputées à la société ne seront pas modifiées, alourdissant sa charge «sociale»?
A l’heure actuelle, 10% des investissements publicitaires télévisuels de la Française des jeux doivent être dédiés au «jeu responsable» et à la prévention du jeu des mineurs. Or des évolutions législatives sont toujours possibles, surtout en cas de changement futur de majorité présidentielle et parlementaire: «Le jeu est un secteur directement impacté par la loi, et le confier à une entreprise privée est un enjeu de santé publique», a commenté le sénateur de droite Jean-François Husson, opposé à cette vente alors qu’il soutient celle du consortium Aéroports de Paris (ADP).
Troisième critique: l’implication de l’entreprise dans l’aménagement du territoire, compte tenu de la distribution de ses produits par les bureaux de tabac et buralistes. Or dans de nombreux villages, voire dans les petites villes, ces commerces sont en difficulté et leurs syndicats se battent pour obtenir de meilleures marges. Face à l’Etat, leur marge de manoeuvre était réduite. Face à une société privée, leurs mouvements sociaux pourraient en revanche être davantage payants.
Idem pour le coût des missions de service public imputé à la Française des jeux, dont le cahier des charges prévoit qu’elle finance des équipements sportifs (230 millions d’euros par an, plus que son résultat net), près de 800 associations et, plus récemment, la Mission patrimoine dirigée par l’animateur Stéphane Bern (22 millions récoltés en 2018, 15 millions en 2019).
A partir du 20 novembre et de l’annonce du cours de l’action, les tractations ne feront donc en réalité que commencer. ▅