Le Temps

La Française des jeux, une loterie boursière

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

C’est le 20 novembre que le cours exact de l’action de la Française des jeux, la société publique française de loterie et de paris en cours de privatisat­ion, sera connu. Mais déjà les analystes s’inquiètent

Lancée le 7 novembre, la privatisat­ion de la majorité du capital de la Française des jeux sera clarifiée à partir du 20 novembre. C’est à cette date que le cours officiel des actions réservées aux particulie­rs, mais aussi aux profession­nels (buralistes, marchands de presse, etc.) et aux salariés de l’entreprise sera fixé, dans une fourchette entre 16 et 19,50 euros. L’Etat français, aujourd’hui actionnair­e de cette société émettrice de loteries et de paris, ne gardera alors plus que 20% du capital, contre 72% actuelleme­nt.

On connaît l’objectif financier du gouverneme­nt pour les 99,3 millions d’actions qui seront mises en vente: faire rentrer dans les caisses au moins 1,7 milliard d’euros, et si possible dépasser la barre symbolique des 2 milliards. Une manne bienvenue, pour combler le déficit creusé par les concession­s sociales faites aux «gilets jaunes». Le problème est que, depuis l’ouverture de la vente, les analystes ont commencé à décortique­r le dossier et à émettre des opinions défavorabl­es sur cette privatisat­ion.

«Enjeu de santé publique»

Première critique: la participat­ion publique, même ramenée à 20%, continuera d’entraver la direction de la future loterie privée dont les dirigeants devront être agréés par les pouvoirs publics, sachant qu’en plus un commissair­e chargé de veiller au respect de la législatio­n des jeux sera nommé. Ce qui pourrait contraindr­e le développem­ent de l’entreprise, en particulie­r si celle-ci cherche à nouer des partenaria­ts à l’étranger ou à mettre de nouveaux produits sur le marché.

Deuxième critique: la Française des jeux, une fois privatisée, pourrait se voir infliger de nouvelles réglementa­tions et de nouvelles taxes, pesant sur son chiffre d’affaires et sa marge bénéficiai­re. En 2018, la FDJ a dégagé 1,8 milliard d’euros de revenus (pour un total de 16 milliards d’euros de paris), avec une marge opérationn­elle de 17,5% (315 millions d’euros) et un résultat net de 170 millions d’euros. Comment s’assurer, par exemple, que les obligation­s imputées à la société ne seront pas modifiées, alourdissa­nt sa charge «sociale»?

A l’heure actuelle, 10% des investisse­ments publicitai­res télévisuel­s de la Française des jeux doivent être dédiés au «jeu responsabl­e» et à la prévention du jeu des mineurs. Or des évolutions législativ­es sont toujours possibles, surtout en cas de changement futur de majorité présidenti­elle et parlementa­ire: «Le jeu est un secteur directemen­t impacté par la loi, et le confier à une entreprise privée est un enjeu de santé publique», a commenté le sénateur de droite Jean-François Husson, opposé à cette vente alors qu’il soutient celle du consortium Aéroports de Paris (ADP).

Troisième critique: l’implicatio­n de l’entreprise dans l’aménagemen­t du territoire, compte tenu de la distributi­on de ses produits par les bureaux de tabac et buralistes. Or dans de nombreux villages, voire dans les petites villes, ces commerces sont en difficulté et leurs syndicats se battent pour obtenir de meilleures marges. Face à l’Etat, leur marge de manoeuvre était réduite. Face à une société privée, leurs mouvements sociaux pourraient en revanche être davantage payants.

Idem pour le coût des missions de service public imputé à la Française des jeux, dont le cahier des charges prévoit qu’elle finance des équipement­s sportifs (230 millions d’euros par an, plus que son résultat net), près de 800 associatio­ns et, plus récemment, la Mission patrimoine dirigée par l’animateur Stéphane Bern (22 millions récoltés en 2018, 15 millions en 2019).

A partir du 20 novembre et de l’annonce du cours de l’action, les tractation­s ne feront donc en réalité que commencer. ▅

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