Les zones d’ombre d’un grand cinéaste
Au moment où «J’accuse» sort en salles, une femme accuse Roman Polanski de l’avoir violée en 1975
Présenté en Compétition officielle à la Mostra de Venise où il a reçu le Grand Prix du jury et le Prix Fipresci, J’accuse a soulevé de premières polémiques liées à une assertion ambiguë du cinéaste dans le dossier de presse du film: «Je connais bon nombre de mécanismes de persécution qui sont à l’oeuvre dans ce film et […] cela m’a inspiré.» Alberto Barbera, directeur de la manifestation vénitienne, estime justement qu’il faut «faire une distinction très claire entre l’homme et l’artiste». Quant à la présidente du jury, la cinéaste argentine Lucrecia Martel, elle a affirmé qu’elle ne participerait pas à un gala en l’honneur du film, mais défendrait résolument la décision de programmer le film.
Un article de Variety dénonce l’«obscénité» qu’il y a de la part du cinéaste à établir un parallèle entre le destin de Dreyfus et le sien: si le capitaine était innocent, Polanski a effectivement violé une mineure en 1977, un crime que n’excusent ni le climat libertaire de l’époque ni les traumas personnels. On ne peut guère exciper que de la prescription et du pardon de la victime, mais ces arguments ne pèsent pas lourd dans la tornade #MeToo.
Le soutien d’«un inconditionnel cénacle d’intellectuels»
Quelques jours avant la sortie du film, la photographe Valentine Monnier accuse le cinéaste de l’avoir «rouée de coups» et violée en 1975, alors qu’elle avait 18 ans. Polanski récuse les faits, comme il a nié plusieurs dénonciations antérieures. Tête d’affiche de J’accuse, Jean Dujardin annule sa venue au journal du soir de TF1. Le milieu du cinéma français, notamment l’ARP, la société des auteurs, réalisateurs et producteurs à laquelle appartient Polanski, est embarrassée. Dans sa tribune publiée par Le Parisien, Valentine Monnier dénonce «un inconditionnel cénacle d’intellectuels et d’artistes […] persistant à soutenir Roman Polanski».
Cet inextricable amalgame de vérités et mensonges risque de faire une victime collatérale: le film. Ce serait regrettable car il impose la grandeur du cinéma, appelle au courage civique et dénonce la haine de l’autre, ce poison tellement contemporain.
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