Les Européens au pied du mur
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a annoncé qu’il allait renvoyer les combattants étrangers de l’EI vers leurs pays d’origine, prenant de court de nombreux Etats dont la Suisse
L’image est saisissante. Derrière des grillages, un homme seul, coincé entre les postes-frontières turc et grec. Ce citoyen américain, qui s’est fait refuser l’accès à la Grèce, fait partie de la première vague de combattants de l’Etat islamique (EI) captifs dans les prisons turques que le président Recep Tayyip Erdogan compte renvoyer vers leurs pays d’origine. Deux autres individus, un Allemand et un Danois, sont arrivés à bon port. Au total, ce sont 25 personnes qu’Ankara va renvoyer – onze Français, dix Allemands, deux Irlandais, un Américain et un Danois.
La France est préparée
«Que cela vous fasse plaisir ou non, que vous leur retiriez ou non leur nationalité, nous vous renverrons ces membres de l’EI, vos propres gens, vos propres ressortissants», a affirmé le ministre de l’Intérieur turc, Süleyman Soylu. Dans ses prisons, la
Turquie affirme détenir encore 1201 membres de Daesh.
D’autres expulsions vont suivre. Le gouvernement français devrait accueillir quatre femmes et sept enfants. En 2014 déjà, la Turquie avait renvoyé trois djihadistes français de façon unilatérale. Cet événement a encouragé la mise en place d’un accord de coopération entre les deux pays, connu sous le nom de «Protocole Cazeneuve». Les déportés sont immédiatement mis en garde à vue, puis présentés devant un juge. Depuis sa création, il a permis de rapatrier plus de 260 Français, combattants djihadistes et membres de leurs familles.
L’Allemagne est prise de court
Ce protocole, qui devrait servir de cadre légal pour accueillir cette vague de djihadistes, a été bousculé par le président Erdogan. Alors que ces renvois étaient généralement effectués de manière discrète, son annonce coïncide avec le 4e anniversaire des attentats du Bataclan, commis par des membres de l’EI. Alors que les blessures sont encore ouvertes, la conjonction des deux événements provoque de vifs débats dans les médias. Au début de l’année déjà, une enquête révélait que 89% des Français se disaient inquiets du retour de djihadistes en France.
L’Allemagne serait moins bien préparée que la France, selon le journal Der Spiegel. Le premier individu expulsé de Turquie n’aurait, selon Berlin, aucun lien avec l’EI. Une famille de sept personnes est attendue jeudi, ainsi que deux femmes vendredi qui sont soupçonnées par la Turquie d’être liées à l’EI. Toujours d’après une enquête du Spiegel, il n’existe actuellement pas de mandat d’arrêt pour ces personnes, par manque d’informations à leur sujet. Ces combattants pourraient donc entrer en Allemagne en toute liberté.
Le pays a accueilli de nombreux djihadistes ces dernières années, de retour du «califat» autoproclamé. Vendredi dernier, le Tribunal administratif supérieur de Berlin-Brandenbourg a demandé aux autorités de faire un pas supplémentaire. Dans un verdict inédit, il a jugé que l’Allemagne devait même rapatrier, soit aller chercher, une mère et ses trois enfants de nationalité allemande dans un camp syrien.
Légalement, il est difficile pour un Etat de refuser le retour de ses propres citoyens, même s’ils ont commis des crimes à l’étranger. A tel point que des pays, tels que le Royaume-Uni, ont choisi de dénaturaliser leurs ressortissants binationaux.
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