Le Temps

Rencontre avec Sophie Marceau, qui récite ce soir à Genève le «Stabat mater furiosa» de Jean-Pierre Siméon

L’actrice française Sophie Marceau vient à Genève réciter «Stabat mater furiosa» de Jean-Pierre Siméon mis en musique par la jeune compositri­ce Violeta Cruz. La création mondiale a lieu ce soir au BFM

- PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVIE BONIER @SylvieBoni­er BFM jeudi 28 à 20h. Renseignem­ents: 022 310 05 45, www.genevacame­rata.com

On connaît les Stabat mater dolorosa de Pergolese, Vivaldi, ou Scarlatti. Celui du poète Jean-Pierre Siméon est furieux. Et la partition de Violetta Cruz accompagne cette rage en musique. L’oeuvre créée ce soir à Genève ne traite pas de Marie, affligée par la mort de son fils crucifié. Mais de la femme éternelle, révoltée par la violence d’un monde que les hommes malmènent.

C’est de la colère de la mère, de la soeur, de la fille et de l’amante qu’il est question ici. D’une «émotion noire et lourde» devant la vie martyrisée. Cette révolte sans âge rejoint notre actualité avec une acuité aiguë.

Trente ans après l’écriture du poème jailli devant la barbarie de la guerre du Liban, les guerres, le terrorisme et la violence faite aux femmes n’ont pas faibli. Sophie Marceau est à Genève pour travailler sa partie de récitante dans l’oeuvre à naître.

Qu’est-ce qui vous a attirée dans ce projet? J’aime être surprise et entraînée dans des aventures inédites. Quand le GeCa m’a proposé ce package musical et littéraire, j’ai tout de suite accepté. Travailler avec des musiciens ouvre sur un autre univers et transforme le rapport au temps et à l’attention. Tout s’accélère dans notre société. Je viens du monde de l’image, qui est exacerbée partout. Plonger dans un bain sonore et une lecture littéraire, c’est comme arrêter la course du temps. Cela oblige à une concentrat­ion et une attention supérieure­s. J’ai eu un coup de foudre pour le texte. L’écriture est magnifique et le sujet me touche profondéme­nt.

Comment se déroule le travail avec Jean-Pierre Siméon et Violeta Cruz?

Il est basé sur l’écoute. Nous échangeons beaucoup sur les coupes et nos façons de ressentir et d’exprimer l’histoire. Il y a une grande humanité dans les rapports. Etre en contact direct avec les créateurs est passionnan­t. Pour la partie musicale, j’ai été séduite par le langage et la personnali­té très intenses de la compositri­ce. Son style est assez mélodique tout en restant concret. Je le trouve cinématogr­aphique, animé d’une grande puissance de pensée. Cela me rappelle Hitchcock et le cinéma des années 1930. Sa transcript­ion des idées est très claire, parlante et illustrati­ve, sur un imaginaire personnel.

Est-ce la première fois que vous intervenez dans une pièce musicale? J’ai été invitée par l’Orchestre philharmon­ique de Berlin et Simon Rattle dans Le Martyre de saint Sébastien de Debussy.

Quel souvenir gardez-vous de l’expérience? J’ai adoré me glisser dans un flux qui me mène ailleurs. La musique grandit les mots, même si la poésie et la beauté des textes sont porteuses. Si je lis à nu, à plat, j’essaye d’imprimer mon rythme et de dégager des résonances intimes. J’engage mon corps, mon expressivi­té. Avec la musique, le travail est déjà à moitié fait. La significat­ion de chaque mot est intensifié­e et je n’ai plus qu’à me situer dans le mouvement imprimé. Cela demande à la fois de lâcher prise et de s’inscrire dans un travail d’équipe où chacun puisse trouver son espace en fonction de l’autre afin de se définir dans un tout. Je deviens une partie de l’orchestre, comme un autre instrument. Chacun doit s’emboîter dans l’autre. C’est magique.

Comment la musique a-t-elle fait son chemin dans votre existence? On en écoutait très peu dans ma famille. Je viens d’un milieu ouvrier de banlieue. Mon père a fait différents boulots comme routier ou peintre en bâtiment, notamment. Et ma mère m’a élevée avec mon frère, avant d’être vendeuse. Les terrains vagues étaient mes espaces de jeu et la musique n’est venue que progressiv­ement. Petite, j’aimais bien Henri Salvador, qui me faisait un peu peur avec Zorro… Puis il y a eu les premiers disques de rock de mes cousins, une musique forte et revendicat­rice qui me plaisait bien. Led Zep, ACDC, Police avant Pink Floyd, le jazz ou le classique plus tard. L’âge permet d’apprécier des choses qu’on ne comprend pas jeune, comme l’opéra, avec ses codes, ses longueurs, son univers d’un autre temps. Je constate à quel point la fréquentat­ion précoce de la culture et de l’art est primordial­e. Elle ouvre aux autres, à l’harmonie, à l’écoute, à l’observatio­n et à la communion.

Dans «Stabat mater furiosa», vous incarnez l’accusation et la prière d’une femme en révolte. Le féminisme vous anime-t-il plus après MeToo et les féminicide­s? Bien sûr, plus que jamais. Nous vivons un tournant majeur avec la libération de la parole des femmes. Une période historique par l’ampleur planétaire du mouvement. Il faut défendre sans relâche les combats et les victoires acquises de haute lutte depuis des décennies. Le danger s’intensifie dans une société qui se barbarise.

Avez-vous été personnell­ement touchée par ce problème? Comme toutes les femmes, particuliè­rement dans un métier où la séduction et le désir prédominen­t. Tout dépend de l’éducation, du tempéramen­t et de l’attitude face à ce problème. J’ai su me protéger très tôt, dire non et choisir ce que j’estimais bon pour moi. J’ai des valeurs très solidement ancrées, comme le respect et la nécessité du travail. La Boum ne m’est pas tombée sur la tête à 12 ans par hasard. Je voulais faire quelque chose de ma vie, travailler pour aider ma mère, être libre le plus vite possible.

«Nous vivons un tournant majeur savec la libération de la parole des femmes»

Une si jeune fille est pourtant très exposée… Oui, mais ce n’est pas une fatalité. Il faut se battre pour sortir des clivages et des antagonism­es qui servent le pouvoir et la domination. De quel droit quelqu’un peut-il s’arroger une supériorit­é sur une autre personne? Il faut éduquer les fils et les hommes à reconsidér­er leur position, dans la famille et à l’école. Certains la subissent parfois et peuvent aussi être victimes d’une forme de dérèglemen­t social, politique ou religieux. Hommes et femmes doivent apprendre à développer leurs affinités, leurs complément­arités et leur capacité à se comprendre. Sans quoi le monde est perdu.

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(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) Sophie Marceau: «On écoutait très peu de musique dans ma famille.»

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