CorneilleMolière: fin de l’affaire
PHILOLOGIE Corneille n’est pas l’auteur des pièces de Molière, contrairement à ce que certains scientifiques et écrivains avançaient depuis un siècle. Cette conclusion, publiée dans le journal «Science Advances», repose sur une analyse statistique des hab
La science a tranché: Corneille n’a pas écrit les oeuvres de Molière, contrairement à ce qu’affirmaient certains écrivains et historiens depuis un siècle
■ Cette conclusion se base sur une analyse statistique des habitudes d’écriture de plusieurs auteurs de cette période
La polémique est née il y a tout juste cent ans, le 16 octobre 1919, au sein du journal Le Temps, parfait homonyme de celui dans lequel vous êtes actuellement plongé. Et si Molière n’était pas l’unique auteur de son importante oeuvre et n’avait, en réalité, été que le prête-nom de Pierre Corneille?
Lancée par le poète et romancier français Pierre Louÿs – et calquée sur la remise en cause, un demisiècle plus tôt, de la paternité des oeuvres de William Shakespeare – l’idée n’a eu de cesse d’être reprise au cours du XXe siècle. Jusqu’à son apogée au début des années 2000, avec la parution, dans le Journal of Quantitative Linguistics, d’une étude inspirée de la méthodologie statistique et concluant que Corneille aurait écrit toutes les pièces en vers de Molière et deux de ses pièces en prose, dont L’Avare et Dom Juan.
Une précision de 98%
«Faux!» rétorquent aujourd’hui deux scientifiques français dans un travail publié le 27 novembre dans la revue Science Advances. En utilisant des techniques dites d’«attribution d’autorité», qui reposent sur l’analyse statistique des habitudes d’écriture et des tics de langage nichés dans un texte pour en déduire l’auteur, Florian Cafiero, ingénieur de recherche au CNRS, et Jean-Baptiste Camps, maître de conférences à l’Ecole nationale des chartes (Paris), sont parvenus à démontrer que les pièces de Molière possédaient des caractéristiques communes évidentes n’ayant rien à voir avec les autres auteurs de l’époque et divergeant même drastiquement de celles de Pierre Corneille.
Pour ce faire, 37 comédies en vers de Molière et de Corneille, mais aussi de Rotrou, Scarron et Thomas Corneille (le frère de Pierre), ont été passées au crible, au cours de près de cinq années de recherches. «Nous avons comparé le vocabulaire, la grammaire, les rimes mais aussi les mots-outils utilisés dans ces textes, détaille Florian Cafiero. Les mots-outils [comme «et», «or», «de» ou «mais», ndlr] ou encore l’enchaînement des structures grammaticales sont particulièrement intéressants à analyser car ils sont utilisés essentiellement de manière inconsciente et ne peuvent donc pas être manipulés facilement, même en essayant de copier le style de quelqu’un d’autre.»
Sur la base de techniques préexistantes d’analyse de texte, Florian Cafiero et Jean-Baptise Camps ont développé, en collaboration avec Simon Gabay, de l’Institut de littérature française de l’Université de Neuchâtel, des modèles d’intelligence artificielle spécialement conçus pour le théâtre français du XVIIe siècle. «Nous avons dans un premier temps annoté de nombreux textes à la main afin d’entraîner les réseaux de neurones à identifier la nature de chaque mot étudié, retrace Jean-Baptiste Camps, jusqu’à ce que ces outils atteignent une précision de 98%. Ce type de méthodes stylométriques peuvent aussi être utilisées afin d’identifier l’auteur d’un texte médiéval ou par les services de renseignement pour retrouver l’auteur d’une lettre anonyme.»
Reste la question de savoir pourquoi les doutes se sont autant cristallisés autour de la personnalité de Molière. Pour Pierre Louÿs, il semblait tout bonnement impossible que Molière, comédien, directeur de troupe de théâtre et présumé sans grand bagage littéraire, ait pu avoir l’éducation et le temps pour écrire autant de chefsd’oeuvre.
«Nous avons comparé le vocabulaire, la grammaire, les rimes mais aussi les motsoutils utilisés dans ces textes»
«Dans les faits, Molière a été éduqué dans un milieu particulièrement privilégié, éclaire Lise Michel, spécialiste en histoire de la littérature française du XVIIe siècle à la Faculté des lettres de l’Université de Lausanne. Il avait appris le latin, commencé des études de philosophie et il fréquentait surtout des cercles aristocratiques très cultivés. Il était aussi très proche du philosophe officiel de la cour de Louis XIV, La Mothe Le Vayer. L’idée qu’il ait été incapable d’écrire ses pièces car il était un saltimbanque ne fait donc aucun sens. Par ailleurs, il était également très courant, pour les «comédiens poètes» de cette époque, d’écrire énormément.»
Autre a priori à déconstruire: sous leur vernis comique, les pièces de Molière s’avèrent en réalité particulièrement savantes et référencées. «L’oeuvre de cet auteur, très marquée par le contexte de la littérature galante, peut se lire à plusieurs niveaux, ajoute Lise Michel. Les Femmes savantes sont par exemple truffées d’allusions sur les débats linguistiques ayant occupé les grammairiens et philosophes de l’époque.» De quoi donner envie de dépoussiérer quelques livres de sa bibliothèque…
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