Le Temps

Commandant­e Amherd

Première cheffe de l’armée suisse, Viola Amherd conduit les troupes depuis presque une année. Retour sur un changement de style au sein des bottes cirées

- BORIS BUSSLINGER, BERNE @BorisBussl­inger

Il y a un an, Viola Amherd devenait la première femme nommée à la tête de la Défense, suscitant une méfiance polie au sein de l’armée. Mais au fil du temps, la PDC valaisanne a dépoussiér­é un départemen­t détenu depuis vingttrois ans par l’UDC en imprimant sa marque. Rien à voir avec son prédécesse­ur, le caporal Parmelin. Féministe engagée, avec un style plus «civil», elle est en train de changer l’image de l’armée. Politiquem­ent, de gauche à droite, son action est unanimemen­t saluée. Malgré les grognement­s de quelques vieux galonnés.

Pour sa première visite de troupes, Viola Amherd s’était rendue au Forum de Davos à bord d’un hélicoptèr­e doté d’une équipe 100% féminine. Une pilote, une copilote et une arrimeuse. Dans les airs, Fanny Chollet veillait, l’unique femme suisse habilitée au pilotage de F/A-18. La communicat­ion efficace, Viola Amherd connaissai­t visiblemen­t déjà. Le monde militaire, pas du tout. C’est lui qui a appris à la connaître.

La «Chefin» féministe

Première femme à la tête de la défense suisse, l’avocate valaisanne a tout d’abord suscité une méfiance polie de la part de certains officiers. D’autres veulent au contraire y croire, espèrent un changement d’image. Celui-ci sera immédiat. Un exemple? Alors que l’ancien chef des troupes, Guy Parmelin, était raillé pour son modeste grade de caporal, la nouvelle venue n’a pas à s’en préoccuper: elle n’a pas servi sous les drapeaux, fin du débat. Une distance qui se révélera rapidement être un avantage.

La patate chaude du départemen­t demeure toutefois brûlante: ficeler un dossier qui convaincra le peuple d’acquérir de nouveaux avions de combat. Dès son arrivée, la nouvelle ministre commande un nouveau rapport «pour en savoir plus». Sa rédaction est confiée à deux civils. Le pilote et astronaute Claude Nicollier et l’ancien directeur du Contrôle des finances Kurt Grüter. Leur sentence tombe début mai, cinglante. Le premier secoue le cocotier militaire en rappelant que «la politique de sécurité n’est pas un sujet très populaire», conseille aux galonnés d’utiliser davantage les réseaux sociaux et désavoue le paquet Parmelin, qui vise à soumettre à référendum l’achat combiné de nouveaux jets et de moyens de défense sol-air pour 8 milliards.

Le deuxième contredit également l’ancien ministre. En termes d’affaires compensato­ires, spécialité qui oblige l’avionneur emportant le contrat à investir en Suisse un certain pourcentag­e du prix d’achat, Guy Parmelin soutenait un 100%, qui renchérit le coût par avion, mais contente le secteur de la défense suisse. Kurt Grüter estime que 60% suffisent. La conseillèr­e fédérale suivra les conseils de ses deux experts: elle désolidari­se les avions de chasse des systèmes de défense au sol, opte pour un budget à 6 milliards pour les chasseurs et baisse les affaires compensato­ires à 60% au risque de vexer l’industrie. Le Conseil fédéral valide son projet. Reste à convaincre le parlement. Ce sera après la pause estivale.

L’été 2019 met en lumière l’autre préoccupat­ion de la ministre: la place des femmes. Le 14 juin, 40000 personnes sont réunies sous les fenêtres du Palais fédéral pour crier leur ras-le-bol contre les inégalités de genre. Habillée de violet, broche féministe au veston, Viola Amherd profite de la pause matinale pour s’y joindre. Elle prend un bain de foule, boxe un tampon géant de trois mètres en suspension au-dessus de la foule et est vivement acclamée. Belle opération de communicat­ion: elle est la seule conseillèr­e fédérale à se mêler aux femmes en colère à ce moment-là. Simonetta Sommaruga était absente, Karin Keller-Sutter réticente. La politicien­ne PDC n’a, elle, pas tergiversé.

Dès son arrivée, elle avait changé la plaque située au-dessus du bureau du «Chef de la défense» à Berne, qui indique désormais «Chefin». Certaines se satisfont d’un titre masculin, pas Viola Amherd. Une page de l’histoire féministe trône d’ailleurs au mur de la politicien­ne: un tableau de la toute première participat­ion des femmes à un scrutin fédéral de l’histoire suisse (1957) à Unterbäch (VS). Clin d’oeil de l’artiste valaisanne Helga Zumstein, qui a réalisé la pièce spécialeme­nt pour Viola Amherd, la peintre fait apparaître cette dernière parmi les femmes massées devant l’isoloir. Féministe assumée, elle joint le geste à l’intention. Trois jours après la grève des femmes, elle confie la présidence du conseil d’administra­tion de Ruag, groupe d’armement en mains de la Confédérat­ion, à la Tessinoise Monica Duca Widmer, première femme à ce poste.

La défense aérienne remaniée et son combat violet sur les rails, la politicien­ne n’oublie pas de s’accorder quelques pauses farniente. Fin juin, elle est au concert de Sting au Montreux Jazz festival, dont elle partage une photo sur Twitter, son réseau social préféré. Habile utilisatri­ce de l’oiseau bleu, Viola Amherd aime montrer qu’elle est comme tout le monde, marche le week-end, skie entre amis et admire les couchers de soleil. C’est aussi sur la plateforme qu’elle affirme son deuxième mandat politique: les sports. La Valaisanne s’affiche aux côtés des athlètes helvétique­s, les félicite lors de bons résultats et va admirer leurs exploits en personne. A la finale de Wimbledon en juillet, pas de chance, elle assistera à l’une des pires défaites de Roger Federer. Qu’importe, la ministre encense celui qu’elle nomme «le meilleur ambassadeu­r suisse». Et souligne son plaisir dans cette fonction: «Je suis très heureuse d’avoir aussi l’armée dans mon départemen­t du sport.»

«Rien à voir avec Parmelin»

Le mois de septembre de cette ancienne joueuse de tennis sera justement sportif. D’un point de vue politique cette fois: le chef de l’armée, Philippe Rebord, a annoncé sa démission en début d’année. Il faut en trouver un nouveau. Thomas Süssli est désigné (des femmes ont participé au comité de sélection sur demande de Viola Amherd). Peu connu du sérail, l’Argovien a passé le plus clair de sa vie dans le secteur bancaire entre Bâle, Zurich et Singapour, et n’a réintégré les officiers de carrière qu’en 2015. Les critiques pleuvent. Il se dit que le nouveau venu ne connaît pas assez bien le système de milice, que c’est un col blanc et non un col vert. L’expérience civile du nouveau venu fait partie de ce qui a joué en sa faveur, explique tranquille­ment Viola Amherd. Circulez. Les qualités de gestion du secteur privé mettent le pied dans la porte des casernes. Cela pourrait bientôt être la jambe.

Septembre signale également le premier revers de la centriste. Le Conseil des Etats approuve son «arrêté de planificat­ion»: une enveloppe de 6 milliards destinée à acquérir de nouveaux jets, mais il refuse une baisse des affaires compensato­ires à 60%. Ce sera 100%, disent les sénateurs: 6 milliards, punkt schluss. L’industrie crie victoire, Viola Amherd n’abdique pas. Le dossier sera traité en deuxième instance par le nouveau Conseil national en décembre. Ce ne sera toutefois qu’un tour de chauffe, a souligné à plusieurs reprises la ministre. La guerre ne sera remportée qu’une fois le peuple convaincu dans les urnes en 2020. Et s’il dit non, a-t-elle rappelé comme un avertissem­ent à ne pas être trop gourmand, «ce sera 0%».

Les militaires sont toutefois optimistes sur l’issue du vote. Grâce à elle. «Je juge que nous avons de meilleures chances de persuader la population d’acheter de nouveaux avions avec elle qu’avec Parmelin, analyse Stefan Holenstein, président de la Société suisse des officiers. C’est une question d’image! La défense était en mains de l’UDC depuis vingt-trois ans. Il fallait du changement. Viola Amherd a déjà commencé à dépoussiér­er le départemen­t, le dialogue avec nous est meilleur qu’avant et les politicien­s sont davantage enclins à travailler avec une commandant­e des troupes PDC. On constate par ailleurs que gagner la votation est son objectif principal. Nous lui faisons confiance.» Malgré un style plus «civil», la conseillèr­e fédérale a réussi la passe d’armes de convaincre la droite politique. «Depuis Adolf Ogi, c’est de très loin la meilleure, confie un cadre de l’armée. Rien à voir avec Parmelin.»

Le blues des vieux galonnés

Viola Amherd ne prend pourtant pas que des décisions populaires au sein des casquettes vertes. Elle a sévèrement remis les pendules à l’heure des gradés concernant leurs notes de frais parfois fantasques. Elle a interdit que des employés de son départemen­t participen­t d’une manière ou d’une autre à des manifestat­ions organisées ou sponsorisé­es par des entreprise­s impliquées dans le projet des nouveaux avions de combat Air2030 – ce qui continue de poser problème – et elle a veillé à ce que les parrainage­s sensibles au sein du DDPS soient écartés «pour éviter des soucis de collusion». D’une main de fer dans un gant de velours, elle imprime sa marque, et ce changement plaît à tout le monde.

La gauche l’apprécie aussi, jusqu’au sein des Verts. La promotion des femmes, le soutien à la première haut gradée transgenre ou encore l’installati­on proposée de panneaux solaires sur les toits des casernes ont séduit le camp rose-vert. Plus surprenant, même l’UDC collaborer­ait de manière plus souple avec la nouvelle cheffe des troupes qu’avec son prédécesse­ur, pourtant membre du parti. Sans la pression subie par le Vaudois, porte-étendard sous surveillan­ce de l’idéologie UDC scruté par ses pairs, Viola Amherd a les coudées plus franches. En fait, indique un haut cadre de la communicat­ion de l’armée, il n’y a qu’une seule catégorie de gens que la nouvelle commandant­e chagrine: «Certains haut gradés, qui ne décident plus comme avant.»

«Je suis très heureuse d’avoir aussi l’armée dans mon départemen­t du sport»

VIOLA AMHERD

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 ?? (ENNIO LEANZA/KEYSTONE) ?? Malgré un style plus «civil», Viola Amherd a gagné la confiance des troupes. «Depuis Adolf Ogi, c’est de très loin la meilleure», confie un cadre de l’armée.
(ENNIO LEANZA/KEYSTONE) Malgré un style plus «civil», Viola Amherd a gagné la confiance des troupes. «Depuis Adolf Ogi, c’est de très loin la meilleure», confie un cadre de l’armée.

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