Une Commission à l’ambition «mondiale»
La nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a convaincu hier 461 eurodéputés sur 751 de soutenir son équipe de commissaires et son programme pour les cinq ans à venir. Une Commission qu’elle veut plus «géopolitique» que celle
Il y a eu la Commission «politique» de Jean-Claude Juncker; il y a désormais la Commission «géopolitique» d’Ursula von der Leyen comme la nouvelle présidente allemande de l’institution, confirmée hier à Strasbourg, se plaît à le dire et l’a encore répété mercredi. Un pur slogan? Une critique voilée de la Commission du Luxembourgeois Jean-Claude Juncker qui, trop concentrée sur la gestion des crises internes, en aurait oublié le reste du monde?
Pour Ursula von der Leyen, cette notion semble en tout cas couvrir un ensemble bien plus vaste que la seule défense commune européenne ou la politique étrangère. Elle a ainsi identifié quelques chantiers comme éminemment géopolitiques, à commencer par le climat et le fameux Green Deal.
Avec pour objectif d’atteindre 1000 milliards d’euros sur dix ans (via l’investissement public et privé), ce grand projet devra transformer l’UE en premier continent à la neutralité carbone d’ici à 2050. Autre champ d’action: la souveraineté en matière numérique, la présidente voulant par exemple que l’Europe puisse aussi être capable de construire des «super ordinateurs» et ne se contente plus d’acquérir ceux des autres.
Le commerce, un grand chantier
Le commerce aussi fait partie de ces grands chantiers géopolitiques: les futurs accords de libre-échange signés par l’UE (dont bientôt celui avec le Royaume-Uni) devront être ambitieux et reprendre ses normes élevées notamment sur le climat. Sans oublier bien sûr la défense du multilatéralisme, l’Allemande souhaitant que l’UE s’affirme «comme un pouvoir responsable».
Mais que cela signifie-t-il concrètement? Ancien ambassadeur de la France auprès de l’UE, Pierre Sellal explique que si la
Commission Juncker a tout de même fait beaucoup à son niveau pour développer l’Europe de la défense et la thématique de la sécurité, elle a eu en effet essentiellement «un agenda interne» centré sur ses institutions et a sans doute permis de renforcer la place de la Commission que «deux mandats de Barroso» avaient affaiblie.
Mais c’est comme si l’UE avait pris désormais conscience «que le monde est devenu plus dangereux», avec des acteurs comme les Etats-Unis qui ne «jouent plus leur rôle». Pour l’ancien diplomate, cela veut donc dire que l’UE ne peut plus bâtir ses politiques internes comme «si le reste du monde n’existait pas». Une Commission géopolitique, pour autant, ne signifie pas travailler à bâtir une vraie «politique étrangère commune», ce que l’Italienne Federica Mogherini a selon lui perdu trop de temps à vouloir accomplir.
C’est avant tout veiller à ce que chaque grand pilier interne, comme la politique de concurrence, tienne compte de ce qui se fait ailleurs, par exemple aux Etats-Unis et en Chine où les règles de concurrence sont faibles, voire inexistantes. En ce sens, lancer une réflexion sur la possibilité d’autoriser des aides publiques pour certains champions européens fait partie de ces chantiers géopolitiques, poursuit l’ex-diplomate.
Etre un modèle sur le climat
Sur le climat, l’UE, en étant ambitieuse et en développant de nouvelles technologies propres, peut aussi entraîner son entourage et «servir de modèle», veut croire Eric Maurice, directeur de la Fondation Robert Schuman à Bruxelles, tout en devenant compétitive. Un objectif certes un peu «idéaliste et complexe à mettre en oeuvre» mais pas impossible, affirme ce chercheur.
Pour Pierre Sellal, l’UE peut en effet espérer relever certains projets sans abaisser ses standards, le bloc représentant avec ses 500 à 600 millions de consommateurs un marché que ne peuvent pas ignorer ses partenaires. «On l’a déjà fait avec nos normes de protection des données personnelles» imposées à tous les opérateurs présents dans l’UE.
Mais l’Allemande aura-t-elle vraiment les moyens de ses ambitions? Alors que sa personne continue de susciter le doute, elle pourra compter sur les mastodontes de son équipe que sont le Néerlandais Frans Timmermans, la Danoise Margrethe Vestager, le Français Thierry Breton et l’Irlandais Phil Hogan.
Ces quatre-là ne souffrent pas d’un déficit de confiance et ce sont eux qui piloteront respectivement les dossiers climatiques, de la concurrence, du numérique et de l’industrie de la défense ainsi que du commerce international. A leur côté, l’Espagnol Josep Borrel, chargé des Affaires extérieures, aura notamment à piloter un groupe devant s’assurer que les politiques internes sont cohérentes avec ce que l’on veut faire à l’international.
Il leur faudra en tout cas de l’inventivité et composer avec un budget européen que les Etats membres refusent d’augmenter de manière conséquente. Autre obstacle à relever pour la présidente Von der Leyen et son équipe: celui de l’unité des 27.
Et à ce titre, elle se devra pour réussir d’aplanir aussi des différends qui pourrissent l’UE depuis des années, comme le dossier migratoire ou la question de l’Etat de droit, dit encore Eric Maurice.
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Pour l’ancien diplomate, cela veut donc dire que l’UE ne peut plus bâtir ses politiques internes comme «si le reste du monde n’existait pas»