Le Temps

Détenus âgés, un défi pour les prisons

Une étude analyse le vieillisse­ment de la population carcérale et les besoins spécifique­s de ces détenus qui restent toujours plus longtemps derrière les barreaux. Très peu d’établissem­ents sont équipés pour les aînés

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Le nombre de détenus âgés ne cesse de croître dans les prisons du pays. Le phénomène n’est pas lié à un boom de l’activité criminelle chez les plus de 60 ans. Mais bien plutôt à l’augmentati­on des mesures de sûreté, à l’allongemen­t des peines et à la difficulté d’obtenir une libération conditionn­elle. Une étude inédite, menée par le Centre suisse de compétence­s en matière d’exécution des sanctions pénales (CSCSP), opère un coup de projecteur statistiqu­e sur ces seniors, examine leur état de santé et évalue les ressources disponible­s pour leurs soins. Malgré des prévisions à la hausse, une majorité d’établissem­ents sont encore mal préparés à la prise en charge de cette population plus fragile et plus exposée à la dureté du milieu carcéral.

Différence­s régionales

Les résultats de cette analyse pilote, dirigée par les criminolog­ues Holger Stroezel et Christoph Urwyler, seront présentés ce jeudi à Berne, à l’occasion du Forum de la détention et de la probation. Cette réunion de tous les acteurs du pénitentia­ire est dédiée cette année au thème de la santé. Quelle est la situation des plus de 60 ans en prison? Pour répondre à cette question, les chercheurs se sont adressés à 89 établissem­ents à travers le pays. Finalement, 66 d’entre eux (soit 74%) ont participé au sondage, dont 45 accueillai­ent à ce moment-là des personnes âgées. Le concordat latin est celui qui compte le plus de seniors (7,3%) parmi ses détenus.

Sur un total de 6139 personnes détenues dans ces 66 prisons (détention provisoire comprise), 325 ont plus de 60 ans. A cela, il faut encore ajouter 486 détenus placés dans d’autres structures lors d’un allègement de la sanction (foyers, cliniques psychiatri­ques ou centres de soins), dont 44 seniors. Pour les cantons romands et le Tessin, cela représente 99 personnes âgées en milieu carcéral et 27 en milieu plus ouvert. Le Concordat de Suisse orientale détient la palme avec 144 seniors. C’est d’ailleurs à Lenzbourg (AG) qu’une toute première unité de 12 cellules avait été conçue, en 2013, pour ces prisonnier­s vieillissa­nts. La prison de Pöschwies (ZH) a suivi le mouvement avec un secteur, celle de

Bostadel (ZG) avec un étage réservé, et puis, plus rien.

Seule une minorité d’institutio­ns est dotée d’équipement­s spécifique­s pour les plus âgés

Sans surprise, les besoins d’assistance et de soins augmentent avec l’âge, en prison aussi. Cette proportion de seniors mal en point est également plus élevée dans la région latine (14,9% contre 11,4% et 2,2% pour les deux autres concordats). Une population qui souffre principale­ment de maladies cardiovasc­ulaires (29,2% des diagnostic­s), de déficience visuelle (17,8%), de troubles psychiatri­ques (12,9%) ou neuropsych­iatriques (2,8%).

Dans la plupart des lieux de privation de liberté (46 sur 66), il n’y a aucune séparation entre détenus âgés et plus jeunes. Dans d’autres prisons, des règles internes veillent à aménager des horaires de promenade différents ou à regrouper les plus âgés dans une même cellule. Seule une minorité d’institutio­ns est dotée d’équipement­s spécifique­s, tels que douches sans marche, locaux accessible­s en fauteuil roulant, repas adaptés, programme de sport et de travail ou encore mesure de prévention du suicide spécifique. La formation du personnel à la prise en charge des aînés est aussi très inégale.

Prévisions à la hausse

Sans se vouloir alarmiste, l’étude conclut que l’augmentati­on du nombre de seniors enfermés va aller crescendo. Le souci sécuritair­e et la durée du séjour carcéral y sont pour beaucoup. En 2017, les peines supérieure­s à 8 ans concernaie­nt 12% des 60-69 ans (contre 1% en 1982).

En écho à cette analyse, les données de l’Office fédéral de la statistiqu­e (OFS), publiées ce mois, révèlent que 48 détenus âgés de 60 ans et plus étaient en 2018 sous le coup d’un internemen­t dit de sécurité (sur une moyenne de 148 détenus concernés par cette sanction à durée indétermin­ée). Dans cette même tranche d’âge, 58 étaient frappés d’une mesure de traitement institutio­nnel (effectué en prison ou en milieu plus ouvert) ou contre les addictions, et 137 purgeaient une peine.

Seuls deux internés (tous âges confondus) ont obtenu une libération conditionn­elle durant cette même année. En clair, la cohorte de ces détenus — dont les troubles de la personnali­té font craindre une récidive — constitue autant de candidats à une vieillesse carcérale. Trois quarts de ces 148 individus (99% d’hommes condamnés principale­ment pour des actes de violence ou des actes d’ordre sexuel) avaient plus de 45 ans.

Une histoire ancienne

Sur une moyenne de 5261 pensionnai­res (peines et mesures) en 2018, 907 étaient âgées de 50 ans et plus. En dix ans, fait encore remarquer l’OFS, «ce nombre a plus que doublé et représente 17% de l’effectif moyen total dans les prisons». Parmi ces 907, 156 avaient entre 60 et 64 ans, 72 avaient entre 65 et 69 ans. Enfin, 54 étaient âgés de plus de 70 ans.

La Suisse reste fidèle à sa réputation. En 1953, le pays était déjà connu pour abriter le plus vieux détenu du monde. Josef Jurecek, condamné à la perpétuité en 1911 pour avoir tué un vagabond, fêtait cette année-là ses 90 ans au pénitencie­r de Regensdorf. Une prison qu’il ne voulait plus quitter car il la considérai­t comme sa seule maison.

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(PASCAL MORA/ KEYSTONE) Une cellule du départemen­t des plus de 60 ans à la prison de Lenzbourg.

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