Le Temps

L’ÉDITO, PORTE-VOIX DU JOURNALIST­E

CE GENRE JOURNALIST­IQUE EST IDENTIFIAB­LE DE PAR SA POSITION EN PREMIÈRE PAGE ET SON STYLE INCISIF. NOTRE RÉDACTION MISE SUR UNE APPROCHE OUVERTE, REFUSANT DE CONSTITUER UNE ÉQUIPE D’ÉDITORIALI­STES FIGÉE

- FLORIAN DELAFOI t @FlorianDel

Le débat sur la place des femmes dans la société n’est pas «une mode». Un retour à l’ordre démocratiq­ue à Hongkong représente le seul espoir des manifestan­ts. Un président du Conseil d’Etat ne devrait pas dire cela. Pour l’éditoriali­ste, il est de bon ton de trancher dans le vif. Affiché en première page du journal, son texte doit réveiller l’esprit critique qui sommeille en chacun de nous, interpelle­r les politicien­s ou souligner les grands enjeux contempora­ins.

Comment notre rédaction définit-elle l’angle d’attaque? La question a été posée ce mardi par un abonné du Temps curieux d’en savoir plus sur ce genre journalist­ique singulier. La décision ne dépend pas d’une entité détachée de l’équipe éditoriale. Ce sont les journalist­es eux-mêmes qui avancent une propositio­n lors de la conférence de rédaction matinale, à la demande du rédacteur en chef responsabl­e de la journée. Pour quelle raison? Cela permet d’éviter un fonctionne­ment en vase clos. «Une équipe fermée d’éditoriali­stes aura de la peine à faire émerger de nouveaux sujets, estime Gaël Hurlimann, corédacteu­r en chef chargé du numérique. Il y a le risque de manquer des questions d’actualité importante­s.»

Si la forme est définie d’avance, le propos de l’éditorial est totalement libre. Chaque auteur peut développer son point de vue, sans devoir se conformer à une vision qui serait celle du média. S’il n’existe pas de ligne officielle, il doit toutefois respecter un cadre. «Le journal est de tradition libérale et humaniste. Il existe une colonne vertébrale de valeurs, mais avec des sensibilit­és différente­s qui s’expriment au sein de la rédaction», souligne Stéphane Benoit-Godet, rédacteur en chef du quotidien. La structure s’est consolidée avec l’inscriptio­n de sept causes, dont l’écologie et l’égalité hommes-femmes, dans la charte rédactionn­elle, document qui fixe les grandes priorités du journal.

La dimension sociétale a progressiv­ement pris le pas sur les luttes partisanes. «Je ne reçois plus de courriers de lecteurs nous reprochant d’être trop à gauche ou trop à droite. La société civile donne désormais le tempo», observe Stéphane Benoit-Godet. Une pointe de mécontente­ment subsiste toutefois chez les lecteurs historique­s, partisans d’un positionne­ment ferme sur les questions économique­s. Une grappe de fidèles a ainsi grincé des dents en lisant l’éditorial «Libéralism­e, le grand doute», qui lançait notre série d’articles sur la crise de ce modèle de société. «Il est pourtant nécessaire de questionne­r le libéralism­e, au moment où cette notion est soumise à des tensions», appuie Stéphane Benoit-Godet. S’il conserve une place prépondéra­nte, l’éditorial a perdu de sa superbe. «Auparavant, c’était un prestige pour les rédacteurs. Avec l’arrivée d’internet, on s’est rendu compte que ces articles réalisaien­t rarement de bons scores d’audience», ajoute-t-il.

En signant de son nom, le journalist­e s’engage lui-même, plutôt que d’engager Le Temps. Une culture nouvelle pourrait renforcer cette posture. «Oserons-nous aller jusqu’au bout de l’exercice et écrire les éditos à la première personne du singulier?» se demande Gaël Hurlimann, tout en pointant le risque d’exposer les membres de la rédaction aux invectives des internaute­s. Qui parle, et avec quelles intentions, voilà une question sensible. Exemple extrême mais révélateur: l’agence de presse américaine Bloomberg, dont le patron a récemment annoncé sa candidatur­e à la Maison-Blanche, va renoncer aux éditoriaux non signés. Ces contributi­ons émanaient d’une équipe resserrée d’éditoriali­stes qui s’apprêtent à rejoindre l’équipe de campagne de Michael Bloomberg. Quel que soit le point de vue défendu, la transparen­ce reste vitale.

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(LEA KLOOS/LE TEMPS)

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