Le Temps

«Etre né sous l’signe de l’Hexagone, c’est pas c’qu’on fait de mieux en c’moment»

COMME LE DIT LA CHANSON

- DAVID HILER

Le refrain d’Hexagone, la chanson brûlot de Renaud (1975), interdite en son temps sur les ondes de France Inter, est plus que jamais d’actualité. Dans un contexte de tension sociale généralisé­e, la France retient son souffle en attendant la date fatidique du 5 décembre et le début de la grève reconducti­ble à la RATP et à la SNCF, qui pourrait bien paralyser le pays pendant tout le mois de décembre.

Les syndicats sont entrés en guerre contre l’abolition des régimes spéciaux prévue dans le cadre de la réforme du système de retraite. Les collaborat­eurs des deux régies publiques sont particuliè­rement visés puisque les conducteur­s de rames de métro et les agents conducteur­s de train peuvent prendre leur retraite à 52 ans, avec une pension avantageus­e.

La grève intervient alors que la France connaît déjà une floraison de mouvements sociaux qui témoignent d’un immense mal-être social. Le mouvement des «gilets jaunes» a fait remonter la colère des «sans-grades» (salariés, petits patrons ou retraités) des zones désindustr­ialisées ou rurales, appauvris par le poids de la fiscalité indirecte. La mobilisati­on du personnel des urgences témoigne pour sa part de la situation catastroph­ique de certains hôpitaux, endettés, mal équipés, et insuffisam­ment dotés en personnel. Et de nouvelles causes mobilisent l’opinion publique comme le climat ou les violences patriarcal­es.

Ces mouvements sont tous dirigés contre l’Etat. C’est le paradoxe français. Les services publics sont en crise alors que le ratio de la dépense des administra­tions publiques par rapport au PIB (y compris les assurances sociales et les entreprise­s publiques) est le plus élevé des pays de l’OCDE (56,4%). Une bonne partie du territoire est mal desservie par la SNCF; les autoroutes ont été privatisée­s et sont donc payantes; les université­s ont de la peine à répondre à la demande; la filière profession­nelle en école, qui a été préférée au système de l’apprentiss­age, donne des résultats mitigés. Par comparaiso­n, dans un pays comme la Suède, la dépense publique ne représente que 49,1% du PIB alors que les services publics fonctionne­nt à la satisfacti­on générale et que les habitants jouissent d’une sécurité sociale enviable.

Pour tout arranger, le système fiscal français au sens large (y compris donc les prélèvemen­ts obligatoir­es pour les assurances sociales) ponctionne fortement les petits et moyens revenus et les entreprise­s. Le coût salarial d’un collaborat­eur est élevé tandis que son salaire net est plutôt modeste. Le pouvoir d’achat des Français est de surcroît fortement réduit par le poids de la fiscalité indirecte, de la TVA en particulie­r, à laquelle s’ajoute une longue liste de taxes qui érodent le pouvoir d’achat. Certes, la majorité des ménages ne sont pas astreints à l’impôt sur le revenu, mais ils sont soumis à la contributi­on sociale généralisé­e, qui se monte à 9,2%, avec des taux réduits pour les retraités, les chômeurs et une exonératio­n pour les plus misérables.

On comprend mieux dès lors la profonde colère des «gilets jaunes» et la sympathie d’une majorité de l’opinion publique à leur égard. C’est la révolte de ceux dont le pouvoir d’achat est miné par les prélèvemen­ts obligatoir­es alors que les services publics ont souvent largement déserté les territoire­s où ils vivent.

Pour tout arranger, la crise politique est profonde. Les grands partis traditionn­els, décrédibil­isés par des décennies de grands écarts entre leurs promesses électorale­s et leurs actes, se sont effondrés. L’avenir de La France insoumise n’apparaît pas particuliè­rement radieux. Le Rassemblem­ent national renforce tranquille­ment son assise pendant que La France en marche capitalise sur l’effondreme­nt des vieux partis. Le problème, c’est que Marine Le Pen et Emmanuel Macron sont honnis (le mot n’est pas trop fort) par une forte majorité des Français. Comment alors ne pas conclure avec la fin du refrain d’Hexagone et son clin d’oeil à Brassens: «Et le roi des cons sur son trône, j’parierais pas qu’il est all’mand»!

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