Le Temps

La Suisse, toujours à la plage

Vice-championne du monde en 2009, la Nati des sables rêve de réitérer son épopée dix ans plus tard au Paraguay, même si elle défend les couleurs d’une des rares nations en lice qui n’a pas accès à la mer. Reportage avant un quart de finale contre l’Italie

- BASTIEN POUPAT, À LUQUE (PARAGUAY)

La 10e Coupe du monde de beach-soccer se déroule depuis un peu plus d'une semaine au Paraguay. Le choix de cette petite nation nichée au coeur du continent sud-américain peut surprendre. Elle est peu habituée à recevoir des compétitio­ns internatio­nales et le tourisme y reste embryonnai­re. Mais les sièges de la Confédérat­ion sud-américaine de football (Conmebol) ainsi que du Comité olympique national se situent dans la ville de Luque, et c'est là qu'a été bâti le stade Los Pynandi où se tient la compétitio­n.

La plus grande curiosité de cette nomination: le Paraguay est le premier territoire sans accès à la mer à organiser l'événement. Comme un clin d'oeil à son plus célèbre écrivain, Augusto Roa Bastos, qui décrivait son pays comme «une île entourée de terres», cette métaphore insulaire prend dans le microcosme du beach-soccer encore plus de sens. De surcroît parce que parmi les 16 nations qualifiées, seulement trois ne possèdent pas de littoral maritime: le Paraguay bien sûr, mais aussi la Biélorussi­e… et la Suisse, qui dispute son quart de finale contre l'Italie ce jeudi après avoir terminé deuxième de son groupe au premier tour (deux victoires contre les Etats-Unis et le Paraguay, une défaite contre le Japon).

Angelo Schirinzi l’architecte

Comment en vient-on à se passionner pour ce sport de plage dans un pays qui en paraît si éloigné tant pour des considérat­ions géographiq­ues que culturelle­s? La question fait sourire le gardien Eliott Mounoud. Il a vécu toute sa vie en Espagne, dans la petite ville balnéaire de Torredemba­rra, en Catalogne, mais un problème de passeport l'a empêché de disputer la Coupe du monde 2017 aux Bahamas avec son pays adoptif. Deux ans plus tard, il a ainsi répondu positiveme­nt aux appels de la Nati des sables. «J'ai grandi à deux minutes à pied de la plage et il est vrai qu'il y a deux mois, quand j'ai rejoint la sélection suisse, c'était un peu bizarre de m'entraîner dans un lieu fermé ou avec les conditions climatique­s qui diffèrent de ce que je connais en Espagne. Mais je trouve la démarche d'autant plus admirable, car il faut redoubler d'efforts pour jouer et l'Associatio­n suisse de football fait un travail remarquabl­e en ce sens.»

«Au sein de la sélection, nous avons tous une histoire différente, enchaîne Noel Ott, un des cadres, qui fut élu meilleur joueur du Championna­t d'Europe 2014. Mais comme dans n'importe quel sport, quand on attise la curiosité du public, on arrive à attirer de nouveaux pratiquant­s. Pour ma part, ça a démarré en 2009 en suivant à la télévision la Coupe du monde à Dubaï et la fabuleuse aventure de l'équipe de Suisse. A partir de ce moment-là, j'ai quitté le centre de formation de Grasshoppe­r pour me consacrer uniquement au beach-soccer.»

La Nati participai­t alors à sa première Coupe du monde, et marquait les esprits en atteignant la finale, pour s'y incliner 10-5 face au tout-puissant Brésil (neuf titres suprêmes). Dix ans plus tard, quatre rescapés de cette aventure sont encore du voyage au Paraguay: les frères Mo et Valentin Jaeggy, Sandro Spaccarote­lla et la légende nationale de la discipline, Dejan Stankovic.

Elu meilleur joueur du monde en 2009 après avoir été meilleur buteur de la Coupe du monde avec 16 réalisatio­ns, il garde un souvenir indélébile de cette épopée fondatrice. «Ce fut magique, inespéré, je dirais même qu'il y avait beaucoup d'insoucianc­e dans notre groupe. C'était notre premier Mondial et on abordait les matchs les uns après les autres sans avoir réellement conscience de ce que l'on était en train de réaliser. Avec du recul, je pense que cela a fait notre force.»

L'avant-centre d'origine serbe, qui participe maintenant à son cinquième Mondial, reste nuancé quant à la possibilit­é de répéter une telle performanc­e. «Cela va être très difficile. Le niveau est de plus en plus élevé. Toutes les équipes répondent désormais aux exigences physiques de ce sport et sont très combatives. Nous pouvons nous en rendre compte au sein de la phase de groupe. L'écart entre grandes et plus petites nations de la discipline s'est énormément resserré ces dernières années.»

Malgré ces signaux positifs, Noel Ott nuance l'évolution globale de son sport. «Depuis que la Coupe du monde est sous l'égide de la FIFA, nous remarquons beaucoup plus de profession­nalisme dans la logistique et il y a beaucoup plus de sponsors. Mais il ne faut pas oublier la réalité du quotidien. Aujourd'hui en Suisse, personne ne vit du beach-soccer. Tous les passionnés ont un travail à côté.»

«C'est cela le plus respectabl­e, rebondit Reto Wenger, manager et coordinate­ur sportif. Tous les joueurs présents ici ne touchent pas un seul franc. Seuls les frais sont pris en charge par la fédération mais personne n'est rémunéré. Et durant toute l'année, ils s'entraînent ensemble quatre fois par semaine sous la houlette d'Angelo Schirinzi sans toucher de salaire non plus. Cela représente beaucoup de sacrifices.»

La personnali­té du sélectionn­eur est centrale dans les bons résultats de la Nati sur le plan internatio­nal (titres européens en 2005 et 2012). «Le niveau du championna­t ne permet pas une profession­nalisation pour le moment. La sélection doit son niveau et sa régularité à Angelo. C'est un bosseur hors pair, qui connaît ce sport sur le bout des doigts et qui est régulièrem­ent sollicité par la FIFA lors de séminaires sur le développem­ent du beach-soccer.»

Opinion partagée par l'«Espagnol» Eliott Mounoud. «Angelo est un vrai passionné. Je lui dois beaucoup, notamment sur le plan de mon intégratio­n. Je ne parle pas allemand et il a fait tout son possible pour que les causeries d'avant-match soient traduites, en anglais par exemple. Il a toujours été à l'écoute et c'est un vrai plaisir de pouvoir continuer à progresser sous ses ordres.»

Une qualificat­ion dans la douleur

Au Paraguay, la Suisse a assuré sa qualificat­ion pour les quarts de finale lors de ses deux matchs initiaux. Elle a remporté le premier 8-6 face aux Etats-Unis, en laissant entrevoir des automatism­es bien en place. Eliott Mounoud, réputé pour son bon jeu au pied, combine parfaiteme­nt avec Noel Ott à la relance. Dejan Stankovic ou encore le jeune talent Glenn Hodel sont intelligen­ts dans leurs déplacemen­ts et ne se font pas prier à la finition.

Le deuxième match face au Paraguay fut un test d'une autre ampleur. A guichets fermés et dans une ambiance survoltée, voire parfois hostile, la Suisse a tout d'abord pris le large en menant 4-1 avant de faire les frais de la déterminat­ion des joueurs de l'Albirroja devant leur public, qui n'est massif et survolté que pour ses favoris. Cela a poussé les Paraguayen­s à inscrire quatre buts lors du troisième tiers-temps pour emmener la Nati en prolongati­ons devant plus de 2800 personnes en délire. La fin du match a été confuse et bouillante, avec l'expulsion de l'entraîneur paraguayen et un penalty décisif de Dejan Stankovic pour une victoire suisse 7-6.

«C'est aussi pour jouer des matchs comme cela, dans une chaude ambiance, que nous faisons preuve de dévouement tout au long de l'année», confiait le lendemain le buteur, en espérant que l'aventure de son équipe se poursuive encore et encore.

«Tous les joueurs présents ici ne touchent pas un seul franc. Seuls les frais sont pris en charge mais personne n’est rémunéré» RETO WENGER, MANAGER ET COORDINATE­UR SPORTIF

 ?? (NATHALIA AGUILAR/EPA) ?? Le match contre les Etats-Unis, le 21 novembre. Si en Suisse personne ne vit du beach-soccer, ces passionnés continuent à jouer au plus haut niveau.
(NATHALIA AGUILAR/EPA) Le match contre les Etats-Unis, le 21 novembre. Si en Suisse personne ne vit du beach-soccer, ces passionnés continuent à jouer au plus haut niveau.

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