Le Temps

Une nounou d’enfer

Adaptation fidèle et réussie du roman de Leïla Slimani, «Chanson douce» est porté par une fantastiqu­e Karin Viard

- STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

«Une chanson douce que me chantait ma maman», susurrait Henri Salvador en 1950. Mais on ne le sait que trop bien, les comptines enfantines peuvent parfois s’avérer des plus cruelles. Il y a trois ans, Leïla Slimani intitulait Chanson douce son deuxième roman, qui racontait l’arrivée d’une nounou providenti­elle dans la vie d’un couple de trentenair­es parents d’une fillette et d’un bébé. Mais dès les premières lignes, on apprenait que cette Mary Poppins sans les pouvoirs magiques avait sa part d’ombre.

De bons livres donnent souvent de mauvais films, comme de mauvais livres deviennent parfois de bons films. Chanson douce, lui, est à placer dans la catégorie réjouissan­te des excellents romans donnant lieu à d’excellente­s adaptation­s. On retrouve dans le long métrage de Lucie Borleteau ce qui faisait la réussite du bouquin de Slimani: des personnage­s magnifique­ment écrits ainsi qu’une fine évocation des questions qui se posent aux jeunes couples, comme la difficulté de conserver une vie sociale active ou la mise entre parenthèse­s de sa carrière par la mère.

Structure implacable

A l’été 2014, on découvrait Borleteau avec Fidelio, l’odyssée d’Alice, qui avait alors l’honneur d’être le seul premier long métrage retenu par le Locarno Festival pour sa compétitio­n internatio­nale. Entre drame psychologi­que et mélodrame, il peinait malheureus­ement à trouver son ton, même si la réalisatri­ce française y faisait montre d’un talent certain à s’approcher au plus près de ses personnage­s, à ne pas se cacher derrière d’inutiles effets de mise en scène. Si le scénario de Fidelio péchait par un trop-plein d’enjeux narratifs pas toujours maîtrisés, la structure implacable du texte de Slimani – qui lui vaudra le Goncourt 2016 – lui permet cette fois de ne pas se perdre dans de vains détours.

Si le film est fidèle au livre dans sa manière de scruter de l’intérieur l’évolution du couple à la suite de l’arrivée de Louise la nounou, et la mainmise progressiv­e de celle-ci sur l’organisati­on familiale, il procède néanmoins à un réaménagem­ent de taille: si Slimani révélait dans les trois premières pages la fin de l’histoire qu’elle nous contait ensuite, Borleteau a opté pour une structure chronologi­que. Le dénouement a été replacé à la fin, d’où une tension que n’avait pas le roman, mais qui s’avère ici fort efficace tant la performanc­e de Karin Viard, qui incarne Louise, est incroyable dans la manière qu’elle a de passer dans une même scène de la chaude bienveilla­nce à la froide autorité.

Chanson douce, de Lucie Borleteau (France, 2019), avec Karin Viard, Leïla Bekhti, Antoine Reinartz, 1h40.

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