Le Temps

Les archéologu­es sont de plus en plus souvent appelés par la police scientifiq­ue

Ils ne fouillent pas que des vestiges enfouis. Les archéologu­es peuvent désormais être appelés à la rescousse par les enquêteurs de police pour excaver des cadavres ou analyser des ossements. Une expertise de plus en plus reconnue

- MARIE MAURISSE @MarieMauri­sse

Qu’il s’agisse de mettre au jour les ruines d’un théâtre romain ou d’exhumer une momie de son sarcophage en Egypte, le métier d’archéologu­e fait rêver. Et contrairem­ent à ce que l’on croit, il n’est pas forcément circonscri­t à la période antique. Depuis quelques années, les archéologu­es ont ainsi ajouté une nouvelle corde à leur arc: l’analyse de scènes de crime, afin d’aider les enquêteurs à trouver les coupables. Comme si Indiana Jones débarquait au beau milieu d’un épisode de Columbo pour l’aider à résoudre une affaire de meurtre.

Cette multidisci­plinarité est née aux Etats-Unis, où la collaborat­ion entre les forces de police et les anthropolo­gues, ainsi que leurs cousins les archéologu­es, remonte déjà à plus d’une décennie. L’Europe est, comme souvent, en train de rattraper son retard, et tente depuis le début des années 2010 d’institutio­nnaliser le recours aux archéologu­es forensique­s. En France, l’Inrap (Institut national de recherches archéologi­ques préventive­s) en faisait le thème de son colloque annuel, qui a eu lieu la semaine dernière au Tribunal de Paris.

«La terre parle»

«La terre parle, et l’archéologu­e sait la faire parler», affirmait en préambule Sabine Kheris, doyenne des juges d’instructio­n du Tribunal de Paris. C’est l’une de ses plus grandes expertises: repérer les mutations du sol afin de savoir, si l’on recherche un corps, où creuser, et s’il faut creuser. Dans le cas cité par Sabine Kheris, aucun cadavre n’a finalement été trouvé à cet endroit. «Mais l’archéologu­e nous a évité des recherches inutiles, qui prennent beaucoup de temps et coûtent cher», précise-t-elle.

Avec les Pays-Bas, le RoyaumeUni est l’un des pays d’Europe où l’archéologi­e forensique est la plus avancée. Cela tient en partie à l’expertise de Nicholas Marquez Grant, archéologu­e au Cranfield Forensic Institute, et coauteur de l’un des premiers ouvrages de référence sur le sujet. Il est régulièrem­ent sur le terrain et participe à des enquêtes policières. Quel est son rôle? «Si l’on recherche des restes humains dans un parc, par exemple, je vais observer la nature afin de délimiter la scène de crime, explique-t-il au Temps. Si l’on trouve des os, je vais précisémen­t relever leur position et organiser l’excavation. Je vais aussi précisémen­t fouiller alentour afin de ne pas rater des éléments décisifs, qui seraient disséminés ailleurs, comme une arme ou un objet…»

Pelle et radar

Comme ses confrères enquêteurs, il se laisse guider par le principe d’échange de Locard, selon lequel un criminel laisse des bouts de lui près de sa victime. Parfois, une simple pelle suffit à retourner la terre et y dénicher des trésors. D’autres fois, les archéologu­es utilisent des instrument­s très techniques comme un radar à pénétratio­n de sol, qui envoie des ondes électromag­nétiques et peut ainsi détecter les variations sous terre, qui dissimulen­t des canalisati­ons, des objets, des fosses ou des corps. La photogramm­étrie peut aussi aider, en reconstitu­ant des images de la scène de crime en 3D, afin d’en conserver numériquem­ent toutes les traces.

Les besoins sont relativeme­nt importants. En France, entre 200 et 400 corps sont retrouvés chaque année, dont 80% sont à l’état de squelettes. En Suisse romande, une vingtaine de corps par an ne sont pas réclamés par leurs familles, dont quelques-uns ne sont pas identifiés. Mais les archéologu­es ont surtout démontré leur utilité dans les cas de crimes de masse comme celui de Srebrenica, en 1995, où les 8000 morts, dispersés dans près d’une centaine de charniers, ont dû être retrouvés. Leur identifica­tion a pris près de seize ans, car il a fallu conserver et analyser plus de 7000 extraits d’ADN retrouvés sur le terrain.

Dans ces situations, l’archéologu­e ne doit pas être confondu avec l’anthropolo­gue, dont le rôle consiste le plus souvent à faire parler le squelette afin qu’il délivre ses secrets, le plus souvent depuis le laboratoir­e. Une compétence qui existe depuis quarante ans et qui a été popularisé­e à la télévision grâce à la série «Bones», dont l’héroïne, l’anthropolo­gue Temperance Brennan, interprété­e par Emily Deschanel, parvient à identifier les coupables grâce à sa science – et aux fulgurance­s de son partenaire policier à gros bras.

Les archéologu­es, eux, exercent davantage leur talent sur le terrain. «Quand on fouille, on détruit, après on ne peut plus revenir en arrière. Ce qu’on a raté sur le terrain, c’est fichu, on ne le retrouvera plus», a affirmé Elodie Cabot, chercheuse à l’Inrap, lors de la conférence de la semaine dernière. Et de citer l’exemple d’un squelette retrouvé récemment sur les côtes bretonnes, dont le crâne a d’abord été abîmé par les coups de pelle des policiers. «Autour de celui-ci, il y avait des incrustati­ons de métal, qui ont montré au scanner qu’il s’agissait d’un orifice balistique», ajoute-t-elle.

Ou dit plus simplement, la victime avait reçu une balle dans la tête. «Comme il n’y a pas d’orifice de sortie, on peut supposer que la balle était à l’intérieur du crâne, continue la chercheuse. Mais elle a dû glisser dans le sable. Et comme il n’y avait pas d’archéologu­e sur place, personne n’a pensé à la chercher. Maintenant c’est trop tard, on ne pourra plus la retrouver.»

Conférence en 2020 à Genève

Si la police recourt désormais aux archéologu­es, c’est aussi pour éviter ce genre de déconvenue­s. Les erreurs des officiers de police peuvent faire échouer un procès, si elles sont pointées du doigt par la partie adverse. Voilà qui devrait convaincre les forces de police suisses, qui n’ont pas encore le réflexe d’appeler leurs collègues archéologu­es lorsqu’elles cherchent une personne disparue ou retrouvent un corps. «Et pourtant cela fait gagner beaucoup de temps, car nos collègues peuvent dire immédiatem­ent s’il s’agit d’os d’animaux ou d’êtres humains, et faciliter la recherche d’indices sur le terrain», applaudit Negahnaz Moghaddam, anthropolo­gue forensique au Centre universita­ire romand de médecine légale.

Le sujet sera à l’ordre du jour en août 2020, à Genève, lors des 9es rencontres européenne­s d’archéologi­e forensique, qui auront lieu pour la première fois en Suisse. De quoi convaincre les plus sceptiques qu’Indiana Jones a tout à fait sa place aux côtés de Columbo.

«Ce qu’on a raté sur le terrain, c’est fichu, on ne le retrouvera plus» ÉLODIE CABOT, CHERCHEUSE À L’INRAP

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(HERVÉ PAITHIER, INRAP) L’expertise archéologi­que permet de résoudre les énigmes d’un passé lointain… mais aussi les mystères criminels récents.

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