A Lausanne, la messe du Suisse armé
Au Palais de Beaulieu, la Bourse internationale aux armes bat son plein jusqu’à dimanche. Fusils, couteaux, armures médiévales, on y trouve de tout
■ La nouvelle loi sur les armes est entrée en vigueur en août, mais les personnes ayant acquis un permis d’achat antérieurement restent soumises à l’ancien régime
■ De ce fait, au dire des organisateurs et des différents propriétaires de stands, les affaires s’annoncent extrêmement bonnes. Récit en immersion
La plus grande foire de l’armement suisse a ouvert ses portes ce vendredi dans la capitale vaudoise. Alléchés par une dernière occasion de faire ses achats avant un changement de législation, les amateurs de fusils affluent
Une fois arrivé à Beaulieu, suivez les pantalons kaki. Sans exception, ils vous mèneront tous au même endroit: la 26e Bourse internationale aux armes de Lausanne. Fondée en 1993, la foire a ouvert ses portes ce vendredi. Plus grande du pays, elle accueille jusqu’à dimanche tout ce que la Suisse compte de passionnés de tir sportif, chasse, fusils, revolvers, couteaux, arbalètes, tenues de camouflage, armures médiévales, arcs à poulies, katanas et autres lunettes de vision nocturne à visée laser ou sabres napoléoniens disponibles sur le marché. Récit en immersion, à l’ouverture du «gun show».
Anne chasseresse
Vendredi, 10 heures du matin, la file s’étire devant les guichets. «Ça ne m’étonne pas, sourit un habitué arborant deux poignards tatoués sur le côté du crâne. La foire aux armes, on vient une fois pour découvrir, puis on revient chaque année.» Lui-même dispose d’une invitation, dit-il: «Un ami qui travaille sur le stand Tellknives» – des couteaux en tout genre. Avant d’accéder à la halle, une ligne de Securitas jette un oeil au sac des visiteurs, qui ne sont pas venus les mains vides. Certains stands rachètent en effet les tromblons qui dormaient à la cave: un chaland dévoile trois fusils. «Pas chargés, approuve la sécurité. Merci bonne journée.» Pas de doute, nous ne sommes pas au Salon du livre.
Chaque domaine ses passionnés, et ceux du jour sont visiblement ravis. «On attendait ça depuis une année», glisse un passant. Face à lui, 5000 mètres carrés regroupent plus de 110 exposants: armuriers, antiquaires, vendeurs de matériel de survie, associations de tirs, groupes de promotion de l’armée. Les murs sont couverts d’armes. Dans les travées, le passage est parfois serré: 7000 visiteurs sont attendus sur trois jours. Un groupe brille toutefois par son absence de manière impressionnante: les femmes. C’est bien simple, il n’y en a presque aucune. Cette année pourtant, un stand leur est dédié. «Mais ce n’est pas facile, concède derrière le comptoir Anne-Marie Grand, chasseuse valaisanne membre de Pro Tell. Il y a 99% d’hommes. On fait ce qu’on peut.» Sur le tablar, une peau de renard. «C’est moi qui l’aie tiré, oui.»
D’année en année, les silhouettes féminines sont toujours plus présentes, assure cependant Joël Humbert, le directeur de la bourse. «Ces dames prennent leur indépendance et s’intéressent de plus en plus au tir.» Un simple coup d’oeil aux alentours révèle une importante marge de progression. Qu’importe, l’affluence (masculine) est belle. Et cette année, les affaires pourraient même s’avérer particulièrement bonnes. La raison? Paradoxalement, le durcissement de la législation sur les armes approuvé par les Suisses en mai 2019. «Ceux qui ont acquis un permis d’achat avant l’entrée en vigueur de la loi (14 août 2019) peuvent se procurer des armes sous l’ancien régime pendant encore six mois, explique Joël Humbert.
Jusqu’au 14 février. Avant les tracasseries administratives, les armuriers font de bonnes affaires.» Un attroupement impressionnant se masse en effet le long de certains stands. Le suisse-allemand crépite çà et là, la bourse aux armes de Lausanne a dépassé en affluence celle de Lucerne depuis déjà plusieurs années. A 11 heures, le parking est plein. On y vient de partout et on y trouve de tout, du moderne comme du vieux.
Chasseurs, survivalistes et antiquaires
Outre les chasseurs, survivalistes et autres fanatiques de répliques à air comprimé, les antiquaires sont de sortie. Président de la bourse aux armes, Emile Joyet en est un. Spécialiste en armes anciennes, il est régulièrement demandé par de grands musées entre Paris, Londres et Saint-Pétersbourg pour aller inspecter l’une ou l’autre pièce d’artifice napoléonienne. Sur son modeste stand, quelques pièces valent leur pesant d’or. «Pour ces deux pistolets de 1850, c’est 10000 francs, lâchet-il.
La qualité reste, le prix s’oublie. Le plus important, c’est l’histoire!» Celle-ci scintille dans plusieurs espaces dédiés sous la forme de heaumes de chevaliers, distinctions militaires d’ex-URSS et autres dagues séculaires. «Le vendredi, c’est le jour des passionnés», pétille le connaisseur. Pour ceux d’entre eux qui désireraient se documenter plus en avant, un rayon lecture complète l’offre de la foire. Plutôt pointu, celui-ci comprend notamment Le Soldat soviétique, Les Paras de la Waffen-SS, Gun Baby Gun, Deutsche Luftwaffe ou encore Survivre avec un couteau.
Théories catastrophistes
La bourse aux armes n’oublie pas non plus l’estomac des guerriers: fondue, boeuf braisé et fricassée de marcassin sont au menu de la cantine. Et pour les adeptes de la nourriture à l’emporter, la boucherie Perusset propose de copieuses tartines au tartare. Enfin, plusieurs stands thématiques permettent encore de tailler le bout de gras avant d’emprunter le chemin du retour. Le Groupe Giardino, par exemple, dont l’ambition s’affiche sur fond de montagnes suisses virginales: «reconstruire l’armée de milice» et «abolir le libre choix entre le service militaire et le service civil». Derrière le petit bureau de l’association, des images de tanks roulant sur des maisons passent en boucle. «C’est la guerre en Syrie, explique un membre. Si on ne fait rien pour renforcer notre armée, c’est ce qui nous attend bientôt en Suisse». Certes. A quelques encablures, Yvan Perrin devise avec des curieux.
Au rayon associatif, un Guillaume Tell de 3 mètres de haut muni d’une arbalète signale encore la présence de Pro Tell, société suisse pour un droit libéral sur les armes alors qu’à l’entrée, la société suisse des officiers accueille les visiteurs en gris-vert. Les armes et le militaire sont partout. Une certaine paranoïa également. «Couteaux d’urgence» à sortir ultra-rapidement de leur étui, «mini-pistolets» garantis pour leur discrétion, manuels de survie. Comment est assurée la sécurité des lieux? «Le lieu est surveillé nuit et jour par des gardes armés avec des chiens, explique Joël Humbert. Aucune munition ne rentre par ailleurs à l’intérieur.» Un grand stand en vend cependant en plein milieu de la salle. Pas de panique toutefois, malgré une certaine électricité dans l’air et à condition de ne pas trop parler politique, l’ambiance est largement bon enfant. «J’ai trouvé quelques chargeurs, un Glock et deux couteaux», indique un homme à un autre sur le parvis de la foire. «Moi, cette année, rien d’incroyable, lui répond son acolyte. Juste un petit pistolet de collection. Il était 90 balles.»
«Ceux qui ont acquis un permis d’achat avant l’entrée en vigueur de la loi peuvent se procurer des armes sous l’ancien régime pendant encore six mois»
JOËL HUMBERT, DIRECTEUR
DE LA BOURSE AUX ARMES