Le Temps

Un palmarès à 702 milliards de francs

- STÉPHANE BENOIT-GODET RÉDACTEUR EN CHEF

Les 300 personnes les plus riches de Suisse ont vu leur fortune augmenter de 4% en 2019, à 702 milliards de francs, d’après le classement réalisé par «Bilan». Mais être riche aujourd’hui, qu’est-ce que c’est?

Je me suis beaucoup occupé de richesse par le passé. Je ne suis pas banquier ou notaire mais, comme ancien rédacteur en chef de Bilan, j’ai longtemps supervisé l’édition des 300 plus riches. C’est le numéro le plus conséquent de l’année: celui qui réussit à faire le plus de ventes, engrange le plus de publicité et nous valait, en tout cas à l’époque, le plus de batailles juridiques. Le paradoxe de cette liste tient au fait que personne ne souhaite y entrer mais que personne ne veut en sortir non plus. A moins d’accepter tacitement d’avoir vécu un revers de fortune.

J’ai retenu trois choses de cette expérience. Tout d’abord, et c’est banal, la richesse ne fait vraiment pas le bonheur, surtout si vous avez un voisin plus riche que vous. La notion de fortune dépend toujours d’un point de comparaiso­n. Quand vous discutez avec un riche, la question n’est plus de savoir si philosophi­quement son aisance a changé sa vie mais comment il se situe par rapport à ses pairs. La compétitio­n qui a eu lieu ce printemps entre Bernard Arnault et François Pinault pour la restaurati­on de Notre-Dame l’a bien montré. Il n’y a pas de générosité mais que des preuves de générosité. Surtout si ces dernières sont supérieure­s à celles d’un rival!

Deuxième enseigneme­nt: la globalisat­ion et la technologi­e ont mené à réduire la valeur des biens et à augmenter leur accessibil­ité. Ce qui a donné au plus grand nombre la possibilit­é de ressentir ce que pouvait uniquement éprouver la classe la plus supérieure il y a vingt ans. Quand vous étiez riche alors, la question n’était pas de savoir si vous pouviez vous offrir un article mais quand il pouvait vous être livré. Désormais, les chaînes de production chinoises ainsi qu’Amazon ou Zalando pourvoient à ces besoins pour le plus grand nombre. Quand ce n’est pas Uber, votre chauffeur privé, qui vous livre à domicile la spécialité de votre restaurant favori.

Moralité, avec d’anciens privilèges devenant accessible­s au plus grand nombre, le statut de la richesse voit sa géométrie varier. Vient alors le troisième enseigneme­nt. Pourquoi subsiste-t-il tant de fractures sociales? Parce que «les riches s’enrichisse­nt et les pauvres restent pauvres», comme le chante Leonard Cohen? Parce que la vraie richesse ne se compte pas en termes de biens accumulés?

Je crois que nous aimons toujours nous faire du mal en admirant le spectacle du bien-être des autres. Les réseaux sociaux en témoignent et ce siècle ne me contredit pas pour l’instant. En attendant, prenez votre pop-corn et achetez Bilan. Ce n’est pas pour rien qu’il s’agit toujours de l’édition la plus vendue de l’année.

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