Et si la Chine votait?
Et si les Pékinois avaient pu voter en mai 1989, qu’auraient-ils dit? Et si tous les Chinois avaient pu se rendre aux urnes cette année-là, qui auraient-ils soutenu? Ces interrogations semblent stupides dans un pays qui n’a jamais connu de vote démocratique depuis l’instauration du régime communiste, il y a septante ans. Elles l’étaient. Jusqu’à dimanche dernier. Jusqu’au jour où les Chinois de Hongkong ont massivement fait entendre leur voix, avec un résultat on ne peut plus clair: dans un vote libre, trois quarts de la population a désavoué ses autorités, locales et celles de Pékin, pour donner raison aux manifestants.
Et à Pékin, ce fut un nouveau choc. Le parti n’avait pas vu venir le vent de la contestation en juin. Il n’aurait jamais imaginé que le mouvement démocratique hongkongais puisse durer au-delà de quelques semaines. Il était enfin persuadé que les élections locales de Hongkong conforteraient le camp pro-Pékin. Il s’est effondré. Et avec lui, tout l’argumentaire du Parti communiste. Pour rappel, selon Pékin, les manifestants étaient une petite minorité d’émeutiers pilotés de l’étranger pour diviser la Chine. La majorité silencieuse voulait le retour à l’ordre. L’argumentaire, au mot près, de 1989, avant le massacre de Tiananmen, dans la nuit du 3 au 4 juin.
Pour ceux qui en doutaient, il faut bien constater aujourd’hui que la majorité silencieuse à Hongkong est avec la majorité des personnes qui s’exprime dans la rue. Le camouflet est à la hauteur du déni des autorités de Pékin, qui vont de surprise en surprise. Pour être juste, elles ne sont pas les seules à être dépassées par les évènements. Ce qui se joue à Hongkong est sans précédent et prend une tournure imprévisible. Y compris par ses conséquences en Chine, de l’autre côté de la frontière qui sépare la Région administrative spéciale de Hongkong du reste du pays.
Si, jusqu’ici, les Chinois ont pu approuver leurs autorités dans leur jugement porté sur les manifestants hongkongais – pour autant qu’on puisse en juger en l’absence de liberté d’expression – le doute pourrait toutefois s’instiller. Car que découvre-t-on? Qu’un vote démocratique, loin de provoquer le chaos annoncé par la dictature, se traduit au contraire par un apaisement. Ce calme n’est que temporaire. Mais désormais les manifestants ont la légitimité des urnes pour aller de l’avant. Ce sont les autorités qui créeront le chaos en refusant de les entendre, et non l’inverse. Il se pourrait que cette leçon fasse son chemin dans les esprits, comme une petite graine dans un terreau à fertiliser au moment même où le pouvoir chinois se croit invincible.
Si les Pékinois avaient pu voter en 1989, il est permis de penser que leurs voix auraient exprimé quelque chose d’assez proche de ce que l’on observe à Hongkong. A l’échelle de la Chine il en aurait sans doute été tout autrement dans un pays encore aux deux tiers agricole et où l’information était déjà très contrôlée. On peut imaginer que, comme dans la France de 1848, le peuple chinois aurait voté très majoritairement pour l’ordre, donc les conservateurs du Parti communiste à défaut de pouvoir plébisciter un empereur.
En 2019, l’expérience de l’espace semi-démocratique de Hongkong ne peut que résonner dans un pays devenu majoritairement urbain, doté d’une classe moyenne importante et globalement bien formée. Il y a vingt ans, les Hongkongais passaient pour la population la plus apolitique de la planète. Ils sont aujourd’hui aux avant-postes de la lutte démocratique. On voit volontiers chez les Chinois d’aujourd’hui les Hongkongais d’hier: seuls l’argent et l’ordre comptent. Mais demain? Parions sur le fait qu’on n’a pas fini d’être surpris.n
Un vote démocratique, loin de provoquer le chaos annoncé par la dictature, se traduit au contraire par un apaisement